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contraste avec la fraîcheur de deux joues roses et arrondies, des yeux noirs ayant la profonde douceur des plus beaux yeux bleus, — un sourire tendre, presque mélancolique, sur des lèvres vermeilles, sur une bouche toujours riante. Jamais ame plus tendre, esprit plus naïf et plus droit, nature plus vierge de détour et d’orgueil, de fraude et d’égoïsme, ne se pourraient imaginer. On la disait insignifiante, les femmes la jugeaient ainsi. Les hommes se chargeaient de remettre les choses à leur place.

Le père d’Amélie, Sedley, depuis long-temps lié d’intérêts avec Osborne le père, dont la fortune s’accroissait rapidement, fiança George et Amélie. George Osborne, beau garçon de quinze ans, que l’on destinait à l’état militaire, devint le « petit mari » de notre douce enfant, qui dès-lors n’eut plus qu’une adoration, celle de George. Nos héroïnes en sont là quand elles quittent ensemble la demeure vénérable de Mlle Pinkerton, pour commencer leur campagne à travers la vie ; Rébecca pense à réussir, Amélie pense à George Osborne.


II. — UN SUZERAIN BOURGEOIS.

C’est un terrible père que M. Guillaume Osborne, le fabricant de chandelles. À le voir s’avancer en empereur, le front ridé, l’œil sombre, on croirait que Tibère, devenu sultan de Constantinople, s’apprête à faire quelque redoutable exécution. Il y a sur sa cheminée une pendule magnifique qui représente Agamemnon et le sacrifice d’Iphigénie. Il regarde toujours cet Agamemnon, et il l’admire. En sa qualité d’homme d’argent, il est grossier envers tout le monde, brutal par nature et par principes, et personne mieux que lui ne comprend la valeur d’un geste agréable qui pourrait se traduire par une demande pécuniaire. Le salue-t-on, il grogne. La nuance dominante de M. Osborne père n’est pas française ; il ne se prosterne pas devant lui-même, mais devant un nom noble ; il adore le blason et paie avec joie les dettes que son fils contracte pour plaire à messieurs ses amis les vicomtes. En France, nos Osbornes idolâtrent leur noblesse dans un écu.

Fermement appuyé sur ses deux jambes, M. Osborne enfonce perpétuellement ses mains dans ses immenses poches et y remue les shellings d’argent et les guinées d’or que contiennent ces grands réservoirs, son honneur et sa joie ; il ressemble à un général d’armée qui fait briller son arme. Ne le blâmons pas. Qui de nous est sans respect pour cette puissance ? « L’autre jour, dit un philosophe anglais, trois pauvres petites filles du peuple jouaient dans la rue sous la pluie, et leurs robes trouées donnaient un assez triste spectacle. « Manette, cria l’une, viens donc, Sophie a trouvé un penny. » Aussitôt Manette et l’interlocutrice, délaissant leurs jeux, se dirigent du côté de Sophie. Sophie se trouve