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qu’ils vont ensevelir. Jamais la foire aux vanités françaises n’offrit un si triste spectacle.

Parlez-moi de la société anglaise de 1815 ; voilà une société bien en ordre, dont il est amusant de soulever les masques et de fureter les recoins. M. Thackeray, en écrivant sa Foire aux Vanités (Vanity Fair), dont il a emprunté le titre à un épisode du Pilgrim’s Progress de Bunyan, n’a pas eu d’autre but. Les marionnettes anglaises de toute condition et des deux sexes y paraissent l’une après l’autre, jusqu’à ce que M. le commissaire ou le diable les emporte. Excepté Gil Blas, je ne connais pas de fiction plus vraie ; elle l’est trop, si l’on veut la juger en artiste. C’est une succession de personnages et de portraits d’une réalité extraordinaire, d’un dessin net, qui passent devant vous en vous disant : « le voici. » Vous rencontrez bien du mensonge et du cant dans ce monde-là ; heureuses les sociétés qui peuvent encore se courroucer contre le mensonge ! Pour qu’il y ait des tartufes, il faut que la vertu soit honorée, et que le bien moral rapporte quelque chose. Malheur aux peuples qui récompensent l’orgueil du mal, l’hypocrisie du désordre et la fanfaronnade de la folie ! Tant qu’il y aura des hypocrites et des tartufes, la société britannique subsistera ; sa vie est surtout dans ce respect aristocratique auquel elle n’est pas encore infidèle ; une fois l’aristocratie atteinte et blessée, tout croulera pierre par pierre.

Dans la société anglaise de 1815, l’ordre est complet ; les masques cachent les visages, et chacun est à son poste. Le titre, si vous voulez, sera : les Marionnettes anglaises, ou tout ce qui reluit n’est pas or, ou les coulisses de la société britannique. — Quel que soit le mot que vous choisissiez, le fond restera le même : une promenade dans cette Foire aux Vanités, un coup d’œil jeté sur la société anglaise de 1815, si touffue, si baroque, si orgueilleuse, qui valait peut-être moins que celle d’aujourd’hui, mais qui se distinguait par une originalité curieuse et unique. Exemple du caractère semi-européen que les rapports actuels de l’Angleterre avec le continent lui font revêtir, elle était pleine d’étrangetés et de préjugés antiques ; le rôle de Gil Blas ou de Figaro y était plus pénible et plus difficile qu’aujourd’hui. C’est au milieu de ce monde que nous conduit M. Thackeray, et ce que nous aimons en lui, c’est qu’il n’exagère aucune image. Il est diffus, sans façon, sans emphase ; il ne crée pas de monstres, et ne force point des crimes gigantesques à sortir de son écritoire. Grace à lui, les coulisses de la société aristocratique et bourgeoise vous ouvrent leurs portes. Pénétrez-y : vous y verrez cent figures roses et gaies, qui privées de leur fard perdent leur beauté. Ces formes agréables, ces blanches épaules, ces dents de perle, disparaissent ; il n’y a plus que des squelettes.

Le caractère particulier de M. Thackeray, c’est l’absence de toute recherche.