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Monckton Milnes. Les punitions corporelles, le fagging, système analogue aux épreuves et aux humiliations dont quelques-unes de nos écoles militaires ont conservé la trace, le despotisme des grands sur les petits, des anciens sur les nouveaux, et d’un pédantisme insensé sur les jeunes intelligences, semblent avoir laissé dans son ame une impression amère et profonde ; ces misères et ces douleurs de la vie à son début se reproduisent souvent dans ses œuvres ; on y retrouve aussi l’image de sa mère, femme d’une supériorité rare et d’une grande beauté.

Elle s’était remariée. Avec ses 20,000 francs de rente, et comptant hériter de son beau-père, qui l’aimait beaucoup, notre jeune homme, parfaitement paresseux, fumant, flânant, dévorant des romans et des livres de toute espèce, se livrait avec délices à un genre de talent peu lucratif, celui de faire des caricatures. Après un séjour d’une année dans une petite ville d’Allemagne, il revint s’établir à Londres, où il fit semblant d’étudier pour le barreau. En réalité, il se ruinait ou se laissait ruiner ; avec un petit patrimoine, beaucoup d’esprit, d’insouciance, de sociabilité, de bonne humeur et de penchant pour les plaisirs, cela n’est pas difficile. À vingt-trois ans, William Makepeace Thackeray n’avait presque plus rien, et la fortune de sa famille était aussi compromise. Les esquisses de sa jeunesse lui revinrent en mémoire : il imagina de se faire peintre, et vint à Paris, où il ébaucha de médiocres aquarelles. Cependant son beau-père, ayant fondé à Londres un journal qui ne réussit pas, the Constitutional, jetait et perdait dans cette affaire la plus grande partie de ses capitaux. Le fils, qui venait d’épouser à Paris une Irlandaise appartenant à une bonne famille de province, était devenu tout naturellement le correspondant parisien du journal de son beau-père. Ce premier pas dans la carrière des lettres était modeste assurément, mais sa veine était trouvée.

C’était la vérité du style et de l’idée, — l’observation fine, franche, satirique, sans prétention, — plutôt le trait de l’homme du monde et sa malice que la formule de l’auteur. Il adressa au Frazer’s Magazine, recueil, tory qui aime et cherche l’originalité, une bouffonnerie qui eut du succès, les Yellow plush papers. C’est un laquais qui se fait critique, et qui rend des arrêts dignes, bien entendu, de sa culotte de pluche jaune (yellow plush) et de son bon goût aristocratique. On trouva de la verve et de la grace, surtout de la facilité et une absence complète d’affectation dans cette plaisanterie, qui, renouvelée récemment par l’auteur, sous le titre de Jeams’ Diary (Journal secret d’un valet de chambre), est devenue plus populaire encore.

On ne pouvait lui contester le titre d’homme d’esprit ; son rang littéraire restait incertain. Protégé par quelques-uns des plus remarquables arbitres de la presse anglaise, par le brillant et profond Carlyle,