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Du corps du grand Rantzau tu n’as qu’une des parts ;
L’autre moitié resta dans les plaines de Mars :
Il dispersa partout ses membres et sa gloire ;
Tout abattu qu’il fût, il demeura vainqueur ;
Son sang fut en cent lieux le prix de la victoire,
Et Mars ne lui laissa rien d’entier que le cœur.

L’année où mourait Rantzau, naissait à Dunkerque un enfant qui devait répandre sur la marine française un éclat immortel. L’histoire véridique des exploit de Jean Bart fait pâlir les romans de chevalerie et la postérité, comme éblouie de son indicible bravoure, ne s’informe pas s’il avait d’autres qualités. Elle a fait plus : pour mettre sa figure en harmonie avec cette vie de combats, elle a imaginé de ne le représenter que la pipe à la bouche et la hache d’abordage à la main. Il ne ressemblait point à ce portrait. Voici celui que fait de lui son contemporain Faulconnier, grand-bailli héréditaire de Dunkerque, qui l’avait pratiqué toute sa vie : « Il avait la taille au-dessus de la médiocre, le corps bien fait, robuste et capable de résister à toutes les fatigues de la mer. Il avait les traits du visage bien formés, les yeux bleus, le teint beau, les cheveux blonds, la physionomie heureuse et tout-à-fait revenante. Il avait beaucoup de bon sens, l’esprit net et solide, une valeur ferme et toujours égale. Il était sobre, vigilant et intrépide, aussi prompt à prendre son parti que de sang-froid à donner ses ordres dans le combat, où on l’a toujours vu avec cette présence d’esprit si rare et si nécessaire en de semblables occasions. Il savait parfaitement bien son métier, et il l’a fait avec tant de désintéressement et de gloire qu’il n’a dû sa fortune et son élévation qu’à sa capacité et à sa valeur. » Cette appréciation est confirmée, au moins sous un rapport, dans une correspondance de M. de Barentin, intendant de Flandre, avec le ministre de la marine, M. de Pontchartrain. Des débats très vifs s’étaient élevés à Dunkerque sur diverses questions de service entre le commandant supérieur et le commissaire-général de la marine. Celui-ci était le tapageur et l’emporté dans cette querelle. « M. Bart, dit M. de Barentin dans une lettre du 3 juillet 1699[1], est d’un caractère très opposé. Il tâche de mettre la raison de son côté en gardant plus de modération dans ses paroles ; mais l’accès qu’il se vante d’avoir auprès de sa majesté le rend aussi peu traitable envers ceux qui ne dépendent que de lui qu’envers les officiers de la marine, qui quittent tous le port de Dunkerque pour ne pas servir sous ses ordres… » Le véritable motif de cette désertion, M. de Barentin ne le dit pas. Jean Bart sortait des rangs du peuple, et les gentilshommes de naissance croyaient déroger sous son commandement.

  1. Bibliothèque du Louvre. Manuscrit.