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l’une a 3,653 hectares, l’autre 208 d’étendue : ce sont la grande et la petite Moëre. Le fond en est horizontal et de 2 mètres 50 centimètre au-dessous du niveau de la basse mer ; le système d’écoulement du reste des watteringues n’y a donc jamais été applicable. La tradition veut que ce bassin, aujourd’hui si parfaitement isolé au milieu des terres, ait été, au XIIe siècle, en communication directe avec la mer, qu’un chenal correspondant à la passe de Zuydcote ait été comblé dans une de ces attaques furieuses que la mer du Nord livre à peu près chaque siècle à ces côtes. Il ne reste sur le sol aucune trace de cet événement, à moins qu’on ne veuille considérer comme telle une colline de sable qui semble jetée par accident le long de la grande Moëre, du côté de la mer. Jusqu’au XVIIe siècle, les Moëres restèrent à l’état de marais pestilentiel ; leurs effluves désolaient Furnes, Bergues, Dunkerque même, et, chose étrange, Hondscote, beaucoup plus voisin, ne paraissait pas en souffrir. « Cette ville, écrivait, en 1700, M. de Barentin, intendant de la province[1], a été, jusqu’en 1640, une des plus florissantes de Flandre, tant à cause de la multiplicité de son peuple qu’à cause des manufactures qui y étaient établies : elle est présentement une des moindres ; le nombre de ses habitans est à peine de quinze cents, et il ne s’y fait pas deux mille pièces d’étoffe par an[2]. » En 1619, la cour d’Espagne concéda les Moëres, à la condition de les dessécher, au baron de Coebergher. Il les isola des eaux du dehors, en les entourant d’une digue, puis d’un canal dans lequel des vis d’Archimède mues par le vent déversaient les eaux intérieures ; il conduisit celles-ci, par un embranchement navigable, jusque dans le chenal de Dunkerque. Dès 1632, le desséchement était complet, et les Moëres en pleine culture ; mais, le 4 septembre 1646, le marquis de Lède, ayant à défendre Dunkerque contre les Français, commandés par le prince de Condé, fit ouvrir les portes de flot, et les eaux de la mer se précipitèrent avec tant d’impétuosité dans la campagne, qu’en une nuit tout fut submergé. Coebergher en mourut de chagrin. Après plusieurs tentatives infructueuses, son ouvrage a été repris par M. de Buyser. Celui-ci a employé les mêmes procédés que Coebergher, a obtenu le même succès, et son nom reste gravé, près du sien, dans la mémoire du pays. Les grandes Moëres sont divisées en deux par une forte chaussée, dont l’arête forme la limite entre la France et la Belgique. La partie française comprend 1,902 hectares, et est devenue une des plus belles communes du département du Nord ; la ceinture navigable qui l’enveloppe et la rattache au port de Dunkerque n’est pas la moindre cause de sa prospérité : de larges fossés bordés d’arbres portent les eaux intérieures au pied de huit moulins à vent, qui suffisent pour les enlever et maintenir l’assèchement

  1. Bibliothèque du Louvre. Manuscrit.
  2. Aujourd’hui la commune de Hondscote compte 3,971 habitans, dont 2,250 sont agglomérés au chef-lieu.