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pas, mais qu’il ne lui est point interdit d’atteindre, c’est évidemment ce qu’a voulu l’Académie française. Permis ensuite à nos beaux-esprits démocratiques de crier au scandale, de soutenir que cette adoption de la noblesse par la littérature, cette réhabilitation du parchemin par le livre, est un crime de lèse-majesté littéraire, un acte de courtisanerie rétrospective, et nous ramène droit à l’ancien régime, au temps où on naissait académicien, comme on naissait homme d’état le 24 février, sans parfaitement savoir l’orthographe. Nous comprenons cette grande colère, ce vif intérêt pour les lettres, de la part de gens qui les ont protégées avec une tendresse si éclairée, si active ! Toutefois l’Académie n’a-t-elle pas le droit de se souvenir de ses attributions réelles ? Cesse-t-elle d’être le plus illustre des corps littéraires, parce qu’il lui arrive de compter et d’admettre ces supériorités, moins faciles à définir qu’à apprécier, qui côtoient la littérature sans lui appartenir, qui s’y rattachent sans s’y confondre, et qui ajoutent à son autorité plus encore qu’à son éclat ? Jamais peut-être il ne fut moins inopportun de faire valoir le privilège que l’on conteste aujourd’hui. Oui, l’Académie doit surtout songer, et dans les temps difficiles plus que dans les autres, à se préserver de l’isolement littéraire, à ne pas laisser prescrire ces traditions d’alliance entre l’art et la société polie dont elle est le plus brillant symbole. Remontez à son origine même, et, tout en écartant ce que ne tolérerait plus notre siècle, en la dégageant de ce caractère de soumission obséquieuse aux envahissemens officiels des grands seigneurs et du clergé, vous reconnaîtrez qu’elle est avant tout une intermédiaire, une initiatrice, mondaine pour les lettrés, lettrée pour les mondains. Ceux qui, au milieu du désarroi de notre société moderne, gardent encore le goût des délicatesses de l’intelligence, comme on conserve, dans une coupe de cristal, une fleur dont l’orage ou l’hiver ont brisé la tige, ceux-là seront toujours désignés d’avance aux prédilections de la docte assemblée. Nous serions toujours désignés d’avance aux prédilections de la docte assemblée. Nous serions assurément fort ridicule, si nous donnions à entendre que de belles manières ou une causerie spirituelle peuvent jamais l’emporter, dans les élections académiques, sur de beaux vers ou une belle prose. Ce qu’il importe seulement de constater dans un siècle où l’on a trop aisément séparé le talent de la dignité morale et le savoir-écrire du savoir-vivre, c’est que les dépositaires et les gardiens de la littérature sérieuse ne sauraient souscrire à cette séparation funeste ; c’est que la Bohème a de vertes collines et de pittoresques paysages, qu’on peut y admirer ces châteaux fantastiques dont parlent les poètes et les ballades, mais que, sur ses pentes verdoyantes, au bout de ses sentiers perdus en mille capricieux méandres, on ne trouvera jamais rien qui ressemble au palais de l’institut.

N’insistons pas trop, d’ailleurs, sur toutes ces nuances : les titres académiques des nouveaux élus ne sont pas de ceux qu’on doive circonscrire ou restreindre. Nous n’avons plus à discuter ici la véritable valeur littéraire de l’historien de Charles d’Anjou et de l’historien de Mme de Maintenon. Il nous suffira de dire que ceux qui voient dans ces élections un symptôme de retour à l’ancien régime ne tiennent pas compte d’une légère différence qui méritait pourtant de ne pas être omise. Les grands seigneurs qui aspiraient autrefois à figurer parmi les quarante croyaient honorer l’Académie en se faisant élire par elle. Des princes et des ducs, aujourd’hui parfaitement inconnus, s’imaginaient faire acte de condescendance et de bonhomie en venant s’asseoir à côté de Corneille, de Racine et de Voltaire, si bien qu’on eût pu dire alors ce que Walter Scott dit de