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quelque nouvelle tentative ? Si elle réussissait à triompher, quelle conduite tiendrait-on ? Les départemens resteraient-ils désarmés de toute force légale, comme ils l’étaient au 24 février, et exposés au despotisme de quelque nouvelle révolution ? Une douloureuse expérience n’apprenait pas aux provinces qu’elles devaient se mettre en mesure de sauver la France, si les factieux venaient à renverser les pouvoirs constitutionnels, ou à disperser l’assemblée nationale ?

Telles étaient les questions qui occupaient les conseils-généraux. Elles donnèrent lieu aux harangues les plus véhémentes. À Rennes, à Lille, à Angers, à Bordeaux, à Rouen, à Amiens, les orateurs s’excitaient mutuellement aux résolutions les plus extrêmes. « Cessons, disaient-ils, de subir le joug de Paris ; ne permettons pas que quelques milliers de conspirateurs disposent à leur gré de la destinée de trente-cinq millions d’individus. Ne laissons plus une poignée d’hommes égarés, profitant de l’inertie des uns, de la terreur des autres, de la connivence de beaucoup, et surtout de l’impéritie du gouvernement, s’emparer du sanctuaire de la représentation nationale et chasser devant eux les élus du pays… Une résistance unanime se déclare contre la tyrannie parisienne ; un violent désir de se soustraire à son joug éclate aux yeux même du gouvernement central. Ce n’est pas une conspiration, encore moins une pensée de fédéralisme ; c’est un dessein ouvert et réfléchi, c’est un besoin de justice universellement senti ; les provinces de France, comme les anciennes provinces des Gaules, ne veulent plus que leurs intérêts aillent s’engloutir dans Rome. » Ces paroles éclataient dans les assemblées départementales et tenaient les populations attentives.

Les griefs des départemens se formulèrent en trois propositions :

1° Réunion des conseils-généraux en cas de dissolution violente de la représentation nationale ;

2° Adresses à l’assemblée constituante pour qu’elle rapproche le plus possible le terme de ses travaux et renonce à voter les lois organiques ;

3° Demande de la décentralisation administrative.

Les conseils généraux de la Gironde, de la Seine-Inférieure, du Pas-de-Calais, de l’Eure, du Nord de la Manche, d’Ille-et-Vilaine, de l’Oise, presque tous enfin, adoptèrent ces propositions, qui résumaient l’état des esprits dans les départemens et constataient la force du mouvement politique dont elles étaient la dernière expression. Résistance à toute révolution nouvelle qui serait faite à Paris et qui ne correspondrait pas au sentiment de la France ; méfiance prononcée contre l’omnipotence de l’assemblée constituante et désir de lui substituer, par de prochaines élections, une chambre qui représente réellement l’opinion du pays ; nécessité d’étendre l’action des conseils municipaux et des conseils-généraux, non-seulement pour obtenir l’administration des intérêts locaux,