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séances se tenaient dans une salle murée, ne donnant ouverture à aucun souffle, à aucune des voix qui s’élevaient du sein du pays. Elle s’était isolée de la nation et restait comme cantonnée dans son palais. De là son aveuglement. L’élection du président de la république fut une nouvelle preuve de ce défaut d’accord entre l’assemblée et le pays.

Au mois de juin, le département de la Charente-Inférieure était en proie à une vive émotion. On y exécutait des mesures rigoureuses pour le recouvrement de l’impôt de 45 c. Les habitans, appauvris par la suspension des affaires, effrayés des excès des républicains, refusaient de payer cette contribution extraordinaire. Au milieu de cette fermentation populaire, le nom du prince Louis Bonaparte est prononcé par quelques paysans réunis dans un marché. C’était la veille d’une élection de représentant. Ce nom produit l’effet d’une commotion électrique. À l’instant, on le propage, on le répète de bouche en bouche ; on y joint, le cri de : Vive l’empereur ! En peu d’heures, les maisons et les chaumières retentissent des mêmes acclamations. Le nom de Bonaparte rappelle à toutes les imaginations non-seulement la gloire de l’empire, mais la volonté énergique qui comprime et arrête les révolutions Les campagnes se rendent au scrutin avec un enthousiasme que rien ne saurait décrire. Les maires marchent en tête de leurs communes ; des bannières et des drapeaux sont arborés, où est inscrit le nom du candidat. Le prince Louis Bonaparte est proclamé représentant du peuple. Avec moins d’éclat, ce fait se reproduit dans l’Yonne et au sein même de Paris.

Cet élan ne fut pas compris par l’assemblée ; elle n’en apprécia ni la portée, ni la signification. Elle s’occupa seulement de le comprimer. Tout le monde a présens à l’esprit les efforts qu’elle fit pour arrêter, dés son principe, ce que, sans respect pour les électeurs, elle appelait le caprice d’une foule ignorante. De quoi s’avisèrent les adorateurs les plus passionnés du suffrage universel ? D’enlever à la nation le droit d’élire le chef du gouvernement et de confier cette élection à l’assemblée elle-même. Ce moyen était nécessaire, selon eux, pour mettre la république à l’abri d’un nouvel égarement qui pourrait faire passer le pouvoir exécutif dans les mains de Louis Bonaparte ou de tout autre prétendant. C’était arracher sa couronne au peuple, proclamé souverain le 24 février. Le parti modéré parvint à faire rejeter cette proposition, mais elle avait mis en lumière les profondes méfiances de l’assemblée contre le sentiment du pays. Quelques traces de cette jalousie ombrageuse sont restées dans la constitution. N’y est-il pas dit que, si aucun des candidats n’obtenait plus de la moitié des suffrages exprimés, et au moins deux millions de voix, la représentation nationale élirait le président de la république parmi les cinq candidats qui auraient réuni le plus de suffrages ? On espérait, par cette réserve, rendre