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de grandes oreilles ; la bouche fort fendue, la barbe rase, qui commençait à grisonner ; continuellement en inquiétude, et si rempli d’appréhensions, que le moindre bruit du monde le faisait tressaillir. Me prenant par la main, il me conduisit dans sa salle, dont il fit en diligence fermer les portes, défendant à ses gardes de laisser entrer personne de peur qu’on ne vînt l’égorger. Aussitôt que nous fûmes assis, je présentai la lettre que M. le marquis de Fontenay m’avait chargé de lui remettre. Il me répondit avec plus de satisfaction que d’éloquence, et, ayant ouvert la lettre que je lui avais remise, il la parcourut toute de la vue, et, faisant la même chose après l’avoir tournée de tous les quatre côtés, il me la rendit, en disant qu’il ne savait pas lire, et en me priant de lui dire le contenu. Je crus qu’il était temps de demander à dîner, n’ayant point mangé depuis Rome, à cause de la grande bourrasque que j’avais courue en mer. Gennaro me fit des excuses de la méchante chère qu’il me ferait, n’osant se servir d’autre cuisinier que sa femme, aussi maladroite à ce métier qu’à faire la personne de qualité. Elle apporta le premier plat, habillée d’une robe de brocart bleu en broderie d’argent, avec une garde-infant, une chaîne de pierreries, un beau collier de perles, des pendans d’oreilles de diamans, toute la dépouille de la duchesse de Matalone, et dans ce superbe équipage il la faisait beau voir faire la cuisine. »

Après le souper, préparé et servi par cette cuisinière habillée en duchesse, le duc et Gennaro se couchèrent tout habillés sur le même lit, « et la femme auprès d’eux sur un autre matelas. » Une partie de la nuit se passa en protestations réciproques d’amitié ; le prince dormit ou plutôt feignit de dormir quelques heures, car il ne se fiait guère à son hôte, et il lui tardait de sortir de cet antre sauvage et de revoir le soleil. Quant à l’issue de son entreprise, elle fut ce qu’elle devait être avec de tels soutiens. Débarqué à Naples le 15 novembre 1647, il était cinq mois après prisonnier des Espagnols, qui le retinrent quatre ans en captivité. L’enthousiasme des Napolitains n’avait pas duré ; c’est le sort commun des élans populaires ; de son côté, le duc de Guise n’avait pu dissimuler son mépris pour ces hommes grossiers dont il était oblige de se servir, et à qui « il cassait souvent son bâton sur les épaules en menaçant de les faire pendre. » Successivement abandonné par tous, il finit par n’avoir plus pour lui que son épée et quelques fidèles amis. Gennaro Annese livra les portes de Naples au comte d’Ognate, nouveau vice-roi nommé par la cour d’Espagne, à condition qu’il aurait la vie sauve ; cette condition ne fut pas exécutée. Le misérable Gennaro termina sur l’échafaud cette existence de pillage et d’angoisse qu’il avait menée dans sa forteresse. Les Espagnols ensanglantèrent leur victoire par les plus épouvantables atrocités. Ainsi finit la révolution de Naples :