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ont laissé un souffle de vie. Lorsque Connel sort de ce tourbillon de poussière et de cette mare de sang, les peintures de son corps sont effacées ; sa hache, sa lance, ses bras, son corps tout entier, sont rougis de sang. « Pour l’amour de Dieu, lui dit le capitaine, ne pouvez-vous empêcher vos hommes d’égorger ces misérables blessés ? leurs cris d’agonie sont horribles à entendre. — C’est plus que je ne pourrais faire ; autant vaudrait essayer de régler le cours du vent. C’est aujourd’hui le dernier jour de la tribu des guerriers blancs (white painted). » Tout en parlant ainsi, Connel essuie la sueur sanglante qui baigne son front et se laisse tomber de fatigue sur l’herbe rougie. L’oeuvre de mort s’achève sur un champ de bataille que les pieds des combattans ont dépouillé de toute verdure, tandis que les faucons et les vautours tournoient joyeusement au-dessus des cadavres.

On bivouaque sur le champ de bataille, et le lendemain les Anglais sont ramenés en triomphe par Connel à leur bord. En vain le capitaine presse l’Irlandais de renoncer à sa vie sauvage, et lui offre un passage gratuit jusqu’en Europe. Le roi des Horaforas a juré de ne pas quitter sa tribu. Il mourra dans les forêts de la Nouvelle-Guinée, et les guerriers peints en rouge danseront autour du bûcher qui brûlera ses os. Le capitaine insiste. Alors une larme brille dans les yeux de Connel, il regarde un instant ses compatriotes sans proférer une parole ; mais soudain il lâche les mains du capitaine qu’il tenait serrées dans les siennes, pousse un sifflement aigu, et disparaît dans les bois, suivi sa sauvage escorte.

Telle est la dernière scène du voyage. Le navire gagne Tahiti. Le Stratford est en train de s’y ravitailler. M. Coulter laisse le Hound se diriger vers le Chili, où son ami, le capitaine Trainer, finit par s’établir après avoir épousé une jeune créole fort riche. Aujourd’hui M. Trainer mène une vie calme et heureuse à Santiago, capitale de la république chilienne. Quant au docteur Coulter, il est rentré à Londres un samedi, et ce n’est pas sans quelque émotion qu’il a entendu le lendemain les cloches des temples appeler de leur voix comme les fidèles au service divin.

Je voudrais croire que les dangers et les fatigues de cette longue excursion auront guéri M. Coulter de la fièvre des voyages ; mais ne sais-je point par expérience que c’est de toutes les fièvres la plus incurable ? Je me souviens d’un jour où je traversais moi-même un pauvre village situé près du golfe du Mexique. J’entendis tout à coup un orgue de Barbarie répéter une de ces romances que les musiciens de nos rues avaient mille fois en France fait résonner à mes oreilles. L’homme à qui je devais ce souvenir de la patrie absente était un Français lui-même, un débris de notre pauvre colonie du Guazacoalco, réunit à errer misérablement sur les grandes routes du Mexique. Cette mélodie