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imagine de leur donner une fête. Un coup frappé sur un gong chinois suspendu à l’entrée de sa hutte fait apparaître une foule de guerriers, de femmes et d’enfans sur la clairière qui sert de grande place au village. On dirait d’un changement à vue ordonné par un habile machiniste. Les guerriers exécutent devant les spectateurs européens des danses nationales, des simulacres de chasses et de combats. Quand le divertissement est terminé, Connel, toujours dans la louable intention de distraire ses hôtes, leur montre les cuves où fermente et bouillonne le poison mortel qui sert à tremper les flèches. Enfin un repas monstrueux composé de pyramides de porcs rôtis, de montagnes d’ignames de bananes, de fruits de l’arbre à pain, termine la journée de fête qui précède la journée de combat. Bientôt, à l’exception des vedettes qui veillent sur les bords de la plate-forme ou sur le sommet des arbres, tout le village est plongé dans le sommeil. Le ciel est sombre, le tonnerre gronde, les éclairs illuminent le désert de leurs clartés blafardes ; des hurlemens lointains se mêlent aux sifflemens du vent d’orage qui berce au sommet des arbres ébranlés toute une tribu de guerriers endormie. Pendant que les feux ennemis s’éteignent peu à peu et que le tonnerre ne gronde plus qu’au loin, Connel fait à ses hôtes une dernière visite. La nuit n’a pas été sans événemens. Deux éclaireurs ont été tués ; un guerrier ennemi fait prisonnier a déclaré que les Papuas n’en voulaient qu’aux blancs réfugiés dans le camp des Horaforas, et que leurs bataillons s’éloigneraient si Connel voulait livrer ses hôtes. L’Irlandais témoigne contre ceux qui ont pu le croire capable d’une telle félonie une indignation chaleureuse qui rassure complètement ses hôtes. Ceux-ci échangent avec Connel une cordiale poignée de main, et le roi des Horaforas retourne veiller aux apprêts du combat.

Au point du jour, le gong d’alarme, frappé par la main du chef sauvage réveille les Anglais endormis, et Connel remonte chez ses hôtes, précédé par des porteurs de provisions qui dressent devant eux un repas substantiel. « Mangez, dit Connel ; peut-être avant le coucher du soleil n’aurez-vous pas le temps de manger encore une fois. » Déjà, en effet, des torches nombreuses brillent de toutes parts sous les arbres, et, de leurs fenêtres, les Anglais peuvent voir l’armée des sauvages qui se met en ligne. Leur aspect féroce, les peintures hideuses qui couvrent leurs corps, la lueur rougeâtre des torches, rappellent plutôt le sabbat qu’une revue guerrière. Huit cent cinquante hommes composent les forces de Connel, et, d’après ses ordres, se divisent en trois corps d’armée. Le chef et les Anglais occupent le centre ; l’aile gauche et l’aile droite sont commandées par deux autres guerriers éprouvés en mainte occasion. Les premières clartés du jour blanchissent le sommet des arbres, quand la tribu tout entière s’avance, dans un ordre parfait et qui étonne les Européens, à travers les bois et sur un terrain hérissé