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pour se mettre en campagne, qu’un guide expérimenté. Ce chasseur n’est pas un des types les moins curieux de cette société demi-civilisée demi-sauvage, qui peuple les prairies américaines. C’est un de ces hommes que la recherche et le commerce des fourrures précieuses font vivre à travers mille fatigues et mille dangers. Après des mois entiers passés dans les déserts, les chasseurs américains ou canadiens viennent vendre leur provision de fourrures dans un des ports de la Californie. Dans leurs continuels pèlerinages, ils ont à se défendre tour à tour contre les ours et les tigres, contre les Indiens nomades et surtout contre les bandits, encore nombreux dans toutes les parties du Mexique. Ces troupes de condottieri, qui saccagèrent tant de fois les établissemens des premiers missionnaires, existent encore en Californie, aussi redoutables qu’au XVIIe siècle. Le chasseur canadien avec lequel M. Coulter lie connaissance a eu plusieurs fois maille à partir avec ces maraudeurs, et les souvenirs qu’il raconte à ce propos ont tout l’intérêt d’un roman d’aventures. Une fois, entre autres, dans l’une des plaines de la haute Californie, il a tenu tête à six de ces brigands, et, tout en sifflant un vieux refrain bas-normand, il n’a pas laissé debout un de ces misérables. Nous connaissons nous-mêmes trop bien cette race d’hommes intrépides pour taxer d’exagération de pareils récits.

C’est avec ce nouveau guide que le docteur se met en route pour visiter en chasseur les forêts et les montagnes voisines des missions. L’ours gris des prairies, tel est le gibier redoutable à la poursuite duquel s’acharne cette fois le vaillant touriste. L’ours gris surpasse le bison en force et le tigre en férocité. Les plus habiles tireurs doutent de leur adresse et de leur sang-froid en présence de ce monstrueux adversaire, qui bondit souvent plus terrible sous une triple décharge, et secoue les balles comme des flocons de neige. Vaincre un ours gris, c’est le plus bel exploit dont puisse s’enorgueillir un Indien, et les griffes de cet animal, portées en collier, sont le plus envié des trophées. C’est un trophée de ce genre qu’ambitionne M. Coulter, et il ne tarde pas à trouver l’occasion de satisfaire sa fantaisie de chasseur blasé.

M. Coulter et son guide sont arrivés au pied du mont San-Bernardino, vers le 34° de latitude nord. La nuit approche, ils se disposent à bivouaquer, mais leur halte nocturne va être brusquement troublée. À la lueur d’un foyer encore allumé, qui leur a servi à faire rôtir un quartier de venaison, ils voient tout à coup un ours gris avancer, à trente pas d’eux, son mufle formidable entre deux rochers. Le premier mouvement des chasseurs est de battre en retraite. L’ours sort lentement de sa cachette et trotte vers le foyer, car il est bon de dire que l’ours gris ne partage guère les préjugés des autres bêtes féroces à l’endroit du feu. Celui-ci est d’ailleurs poussé par une faim peu ordinaire,