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monde une part de mal qu’aucune puissance humaine ne saurait guérir ? qui présentera la vie terrestre comme une épreuve pénible à laquelle nous soumet la Providence ? qui montrera au méchant pour le contenir, au malheureux pour le consoler, à tous pour les affermir dans le devoir, l’horizon d’une destinée immortelle ?

Je reconnais que ces saintes croyances sont nécessaires à toute société et qu’elles paraissent aujourd’hui plus indispensables que jamais. Je reconnais qu’elles constituent l’essence de la religion chrétienne ; car la religion chrétienne n’est pas pour moi dans tel ou tel symbole, dans telle ou telle forme périssable, mais dans un petit nombre de vérités immortelles qu’elle enseigne à chaque instant du jour à toutes les intelligences. Ces vérités sont en germe dans l’Évangile ; elles sont partout répandues dans les grands dogmes où le christianisme primitif vint plus tard s’organiser. Mais pourquoi ces vérités sont-elles dans le christianisme ? pourquoi le christianisme a-t-il des droits au respect de tout philosophe, à la reconnaissance de tout ami de l’humanité, à la sollicitude de tout homme d’état ? C’est que ses sublimes enseignemens sont le fond même de la conscience du genre humain. Il y a dans notre nature, à côté de ses besoins matériels, une source vive et permanente de spiritualisme. Pendant que les nécessités de la vie courbent l’homme vers la terre, une force cachée relève cette noble créature, lui découvre au-dessus du fait la loi, au-dessus de la violence la justice ; la beauté de ce monde éveille en son ame le soupçon d’une beauté plus haute qu’elle contemple avec ravissement et dont elle essaie de reproduire quelque image. Le fini, dans ses merveilles, lui révèle l’infini. Du sein de ce monde imparfait, elle s’élance vers Dieu et adore en lui la source et l’asile de son existence. Cette aspiration intime, permanente, universelle vers l’idéal, vers le droit, vers la justice, en un mot, vers Dieu, c’est ce que j’appelle le spiritualisme naturel du genre humain.

L’histoire nous montre les progrès laborieux, mais irrésistibles, de ce spiritualisme. Il se développe sous trois formes : les arts, les religions, les philosophies. Toute grande idée qui se produit, toute nouvelle religion qui se forme est un effort du genre humain pour s’affranchir des liens de la matière. Si le christianisme est la plus parfaite des religions, c’est qu’elle exprime plus fidèlement que toutes les autres le spiritualisme naturel de l’humanité. Se confier au christianisme, c’est, qu’on le sache ou qu’on l’ignore, se confier à notre nature. Il serait étrange que le spiritualisme, qui n’est autre chose que la loi générale de l’humanité, fût une puissance bienfaisante, alors qu’il se manifeste sous la forme d’une croyance religieuse, et qu’aussitôt qu’il s’analyse, se réfléchit, se constitue sous cette forme particulière qu’on appelle philosophie, il devînt une puissance dangereuse et antisociale.