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révolution française. Qui a combattu tous les despotismes, despotisme civil politique, religieux ? C’est la philosophie. Qui a attaqué le régime des corporations ? Ce sont les économistes philosophes du XVIIIe siècle, Quesnay, Turgot, Mercier de la Rivière, Dupont de Nemours ? Qui a proclamé les droits du travail ? qui a assigné à la propriété sa véritable base, dans le développement de la libre personnalité marquant la matière de son empreinte ? À un régime où la propriété était mal assise, assujettie à mille entraves, entourée de mille barrières, viciée par mille privilèges, concentrée dans un petit nombre de mains, immobilisée dans des ordres, à un pareil régime qui a substitué celui où nous vivons, à régime de la propriété affranchie, fille du travail, aisément accessible à un grand nombre ? qui a fait tout cela, sinon les économistes et les philosophes, lesquels ont préludé par une rénovation dans les idées à celle qui allait s’accomplir dans les lois ? Et dans ces derniers temps, quand le socialisme, sortant des profondeurs obscures où il s’agitait, a paru au grand jour et a étalé l’audace de ses théories, qui a combattu l’ennemi ? qui dans la presse, à la tribune, a opposé l’antidote au poison ? qui a rappelé les principes éternels sur lesquels repose la société, rétabli le travail, la propriété, la famille, les devoirs de l’état, les droits de l’individu sur leurs bases éternelles ? Ce sont des économistes, des philosophes, des hommes politiques, tous enfans et amis de la révolution française.

On dira sans doute que l’économie politique, la philosophie et la révolution, l’une en soulevant le problème de la richesse, la seconde en appelant toutes les intelligences à la lumière et à la liberté, la troisième enfin, en rompant les barrières qui fermaient l’accès de la propriété et de l’industrie, ont concouru à éveiller dans les classes inférieures une ambition aveugle et démesurée ? J’en conviens ; mais à côté du mal, il faut savoir reconnaître le bien. N’est-ce pas un des spectacles les plus admirables de notre temps que cette ascension universelle des classes vers une existence plus douce et plus libre ? Après tout, la misère est aussi une servitude ; la richesse est l’affranchissement de l’esprit, et ni le christianisme ni la plus pure philosophie ne condamnent les trois quarts du genre humain à l’éternel esclavage de la faim[1].

Je sais que cette fièvre de jouissances matérielles est un des maux de notre société. On s’en fait une arme contre la philosophie. Qui enseignera, dit-on, aux pauvres la résignation, aux faibles l’humilité ? qui fera comprendre à notre société affamée de bonheur qu’il y a dans ce

  1. Sur cette parole de l’Évangile : Il y aura toujours des pauvres parmi vous, voyez le commentaire d’un ecclésiastique plein de lumières, M. l’abbé Gratry. Le petit livre intitulé Demandes et Réponses sur les devoirs sociaux est peut-être ce que le clergé contemporain a produit de plus chrétiennement philosophique et libéral.