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féconde ? Ici comme dans le système de M. Louis Blanc, pour maintenir l’association, il faudrait la main de fer du despotisme et l’insupportable tyrannie de l’inquisition. En dernière analyse, on arrive également par ces deux chemins à l’absorption complète de l’individu dans l’état, et, comme on l’a fort bien dit, à une sorte de panthéisme social où les individus ne sont d’aucun prix et se perdent au sein d’une confuse unité.

M. Proudhon s’est placé à l’extrémité opposée. Je ne suis pas surpris qu’il combatte si rudement les socialistes et leur dise de si bonnes vérités. Ceux-ci, en effet, partent du principe de l’association et l’exagèrent jusqu’à l’absurde. M. Proudhon s’appuie sur le principe contraire, le droit de l’individu. En ce sens, M. Proudhon est un libéral.

Si j’entends bien M. Proudhon, et c’est chose tellement difficile, que je n’ose pas m’en vanter ; si on peut attribuer un système fixe et précis à un esprit qui semble se complaire dans sa mobilité, qui n’a cherché dans la dialectique hégélienne, qu’un moyen ingénieux de sauter agilement d’une idée à l’idée contraire, de se contredire impunément et de faire perdre à chaque instant sa trace, je crois que le fond de sa théorie, c’est d’établir entre le travail et le capital un lien tellement étroit, que telle quantité précise de travail fournisse immédiatement telle quantité correspondante de capital. M. Proudhon a donc cherché à donner au capital une telle souplesse, qu’il puisse se plier à la mobilité infinie du travail, à ses caprices, à ses intermittences, à toutes ses vicissitudes. Voilà le secret de sa banque d’échange. Je n’ai point qualité pour la discuter. Si cette combinaison économique n’est autre chose que ce qu’elle paraît à des esprits dont la sagacité ni la bonne foi ne sauraient être sérieusement contestées, s’il n’y a pas là-dessous quelque profondeur financière que M. Proudhon nous dévoilera quelque jour, comme il nous a récemment promis une théodicée plus parfaite que celle du christianisme et de Leibnitz, s’il faut enfin s’en fier aux apparences, la banque d’échange est une invention puérile ou une mystification. Vous voulez la gratuité absolue du crédit, et vous imaginez un papier qui ne coûtera absolument rien ; mais, ou votre papier sera donné sans garanties, et alors il sera sans valeur, ou il se donnera sur garanties, et vous retombez dans des combinaisons connues.

Mais ce n’est pas sous ce point de vue que je veux considérer le système de M. Proudhon. Lui aussi, si je ne me trompe, se fait une nature humaine à son usage. Il se garde bien de caresser les chimères naïves de l’atelier social. C’est un esprit positif ; mais on peut être à la fois brutal et chimérique. J’en demande bien pardon à M. Proudhon, mais, tout spirituel qu’il soit, le caractère de ses doctrines, c’est la brutalité. Pour lui, il n’y a qu’une seule espèce de travail, le travail des bras. On sait comment cet écrivain traite les hommes d’intelligence, les artistes, les poètes, les savans ; mais ne parlons que de ces travailleurs dont on veut