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et lui propose avec le talent et le travail une légitime alliance ; mais, encore ici, laissons sur le dernier plan le côté économique du problème. Je dis aux phalanstériens : Vous voulez refondre la société en reconstituant le travail. À la place du principe qui lui donne l’élan et la vie, que substituez-vous ?

C’est ici qu’apparaissent la folie et le néant de l’école sociétaire : cette école a deux grandes illusions ; elle croit et elle professe que toutes les passions de l’homme sont légitimes ; elle croit et elle professe que ces passions peuvent et doivent trouver leur satisfaction sur la terre, et conséquemment que l’harmonie parfaite et le bonheur parfait sont possibles dans la vie présente. La théorie du travail attrayant est étroitement liée à ces deux principes. Supposez, en effet, que la destinée de l’homme soit tout entière en ce monde ; il semble assez raisonnable de penser qu’en s’y prenant bien, on pourra placer toute créature humaine dans une sphère d’activité où elle se déploie innocente, paisible et heureuse. Il suffit pour cela de trouver à chaque nature particulière ses conditions normales de développement ; les tendances de son activité feront le reste. Il y aura dès-lors entre ses désirs et ses actes un si juste accord, qu’elle jouira d’un bonheur sans mélange.

Les phalanstériens n’oublient qu’une chose : c’est le libre arbitre. Oui, sans doute, toutes les inclinations naturelles que Dieu a déposées au cœur de l’homme sont bonnes et ont une destination excellente. Oui, l’ame humaine sort innocente des mains du Créateur. Oui, ce que toute créature rêve, l’idéal où elle aspire, c’est l’harmonie parfaite et la pleine satisfaction de tous ses désirs ; mais il n’est point entré dans les desseins de la Providence de réaliser cet idéal ici-bas : elle nous a créés libres et imparfaits ; elle a voulu que notre vie fût une lutte entre des penchans qui nous sollicitent en mille sens divers ; elle a voulu que le travail fût pénible et la vertu difficile pour donner au travail son mérite et à la vertu sa dignité. S’imaginer qu’il y a une forme de société possible où le travail sera attrayant, où la vertu sera aisée, où l’homme sera parfaitement heureux, c’est méconnaître la nature humaine, c’est la défigurer et l’abaisser tout à la fois ; ce n’est pas faire de la science, c’est rêver.

On s’est scandalisé et égayé de la liberté amoureuse de Fourier : il suivait la pente de son système ; il voyait toute la destinée de l’homme dans la vie présente. De là cette complaisance pour nos passions, qui conduit à substituer à l’idéal austère de la vie conjugale les songes déréglés d’une imagination libertine. M. Louis Blanc transforme la société en monastère ; les phalanstériens en ont fait quelquefois un lieu de débauche.

Dans la pratique, comment concilieraient-ils cette liberté du travail, qu’ils prétendent conserver, avec le besoin d’une production riche et