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maux de la société moderne. Soit, mais elle est aussi le grand ressort de la vie industrielle et commerciale ; ce ressort brisé, il le faut remplacer par un autre : M. Louis Blanc nous propose la vertu.

Je m’adresse à tout esprit qui a un peu médité sur la nature humaine, et je lui pose cette question : Pourquoi un laboureur, un ouvrier, pourquoi une créature humaine en général consacre-t-elle sa vie à travailler ? Si l’on considère le travail intellectuel, si l’on songe à l’artiste, au savant, à l’homme d’état, on pourra répondre que c’est par amour de la gloire, par plaisir, par crainte de l’oisiveté, et cette réponse sera vraie jusqu’à un certain point ; mais, s’il s’agit du travail matériel, il faudrait se fermer les yeux pour ne pas reconnaître que le travail est fils du besoin et que l’aiguillon du travail, après le besoin, c’est l’amour de la richesse et du bien-être.

Que fait M. Louis Blanc ? À la place de cette société où nous vivons et où le travail a pour ressort l’intérêt personnel, il en substitue une autre à laquelle il donne un nouveau ressort, et c’est la vertu.

Or, remarquez qu’il y a deux sortes de vertu : l’une qui consiste à s’abstenir de nuire, vertu qui n’est pas précisément commune, mais qui l’est pourtant assez, secondée qu’elle est d’ailleurs par les lois, la religion et les passions bienveillantes du cœur humain, pour que la société ne périsse pas. Il y a une autre vertu, rare, admirable, devant laquelle s’incline le genre humain, c’est le dévouement. Eh bien ! M. Louis Blanc fait de cette vertu exquise et sublime le ressort du travail, de sorte que son système devient très simple, à cette seule condition que tout homme soit un héros.

Et, en effet, dans l’atelier social les salaires sont égaux, ou, ce qui est plus merveilleux encore, ils sont proportionnés, non au travail, non au talent, mais aux besoins ; dès-lors, un seul mobile peut stimuler le travail, c’est l’honneur, c’est la religion du devoir, c’est l’amour de l’humanité. Il suffit de rappeler un tel système à son principe pour qu’il tombe au-dessous de la discussion ; jamais rêveur n’a bâti sur un fond plus chimérique. L’atelier social ne pourrait durer quelques instans sans une dictature absolue qui rendît le travail obligatoire et qui eût à son service une inquisition chargée de connaître et de déterminer les besoins de chacun.

L’école phalanstérienne ne méconnaît pas moins profondément la nature humaine. M. Louis Blanc fonde le travail sur la vertu ; Fourier et ses disciples lui donnent un stimulant tout aussi fantastique, c’est le plaisir. M. Louis Blanc est le stoïcien du socialisme ; M. Considérant et ses amis en sont les épicuriens.

Je suis prêt à reconnaître tout ce qu’il y a d’excellent dans l’école phalanstérienne : elle s’appuie sur l’association et s’efforce de conserver la liberté, elle reconnaît avec une fermeté louable les droits du capital