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dévot, le niveleur et l’ultramontain. Que pense M. Veuillot de ce voisinage ? Faudrait-il croire que tous les fanatismes se touchent par un côté et qu’il existe toujours une certaine ressemblance dans les argumens dont se servent les agresseurs du bon sens ?

Et cependant on doit en convenir, l’art contemporain n’a fourni que trop de prétextes à ces attaques qui lui arrivent de toutes parts et de points si différens. Si, en face de ses souffrances présentes, on se sent porté à l’amnistier, on est forcé en même temps de reconnaître qu’aujourd’hui même, au milieu de tout ce qui le frappe et de tout ce qui devrait l’exciter, l’art ne fait rien pour sortir de sa défaillance, pour s’associer aux résistances et aux luttes de la société. Quel serait, dans ces momens de crise où toutes les forces vives de la civilisation et de l’intelligence ont besoin de se prêter mutuellement une nette et prompte assistance, l’intermédiaire le plus actif, l’arène la plus commode, le lieu de rendez-vous le mieux choisi, pour une opposition spirituelle et publique aux égaremens et aux périls ? Ce serait assurément le théâtre : l’art dramatique de notre siècle, qui en est encore à chercher sa veine et sa voie, pouvait tout à coup sentir se dissiper ses langueurs et ses incertitudes devant des spectacles faits pour ressusciter la verve de Molière et l’ironie de Beaumarchais. Un coup d’œil jeté sur la Comédie française suffit malheureusement pour nous convaincre que cette nouvelle phase est encore à naître.

L’ancien répertoire du Théâtre-Français a de ces beautés que rien ne saurait effacer où amoindrir. C’est une des gloires de l’idée, qu’au lieu d’être mise en fuite par les tempêtes politiques, elle y trouve au contraire une vie énergique et résistante, et que cette portion de l’art qui s’adresse principalement à l’intelligence et à l’ame soit celle qui s’acclimate le mieux aux atmosphères orageuses. Corneille, Molière, Shakspeare surtout, s’il nous appartenait et si nous savions bien le comprendre, sont des livres immenses, toujours ouverts, où toute pensée, toute passion, tout vice, toute émotion a sa page ; et, quels que soient le rêve, le mensonge ou la vérité que poursuive un peuple, il en trouve le mot dans ces vocabulaires sublimes, offerts à l’humanité par le génie. Rien ne peut rapetisser Cinna, Tartufe, Macbeth ; les orages qui épouvantent le monde ne font que nous rapprocher de ces immortels poètes, comme ces éclairs qui font se presser autour du chef de famille ses enfans pâles et tremblans.

Le Théâtre-Français a-t-il, depuis quelque temps, tiré parti de ces vieilles et impérissables richesses ? Les grandes comédies de Molière, Tartufe, entre autres, sont jouées avec une médiocrité désespérante, où disparaissent à la fois la tradition et le sentiment de l’œuvre. Le Misanthrope est à peine essayé ; il n’y a plus d’Alceste ni de Célimène. Quant à la tragédie, on sait qu’elle repose tout entière sur la santé où l’humeur de Mlle Rachel : or, la santé de Mlle Rachel est souvent mauvaise, et son humeur rarement bonne. L’illustre tragédienne avait eu, avec le Théâtre-Français une sorte de lune de miel républicaine. La Marseillaise avait été pour elle ce qu’elle fut jadis pour la France, une transition démocratique de la monarchie à l’empire ; mais, après quelques soirées de sang impur et de sillons abreuvés, belliqueux refrains qui contrastaient passablement avec l’attitude de M. Bastide, force a été de redescendre de Rouget de l’Isle à Corneille. Alors est arrivé ce que nous avions prévu. Le ton, le rhythme, la mesure, la sobriété d’accent et de geste, tout cela était altéré par les sanguinaires