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et précaires dans l’ordre politique, les pouvoirs républicains ont besoin de puiser beaucoup de force morale dans les dispositions de l’ordre social. — Or, la république, qui s’est appelée démocratique, au lieu de réunir et de concilier les partis divisés et les situations hostiles dans le pays, nous a plongés dès le premier pas dans le chaos de guerre sociale ; elle aurait pu chercher du moins des garanties pour le gouvernement et les intérêts divers qui sont en lutte dans le contrepoids des forces au centre de l’état. Loin de là, elle n’a donné au gouvernement qu’un moteur, la volonté unique de la majorité numérique de la nation, plaçant partout le principe du despotisme révolutionnaire en face du droit d’insurrection. C’est ainsi affaiblis qu’elle nous laisse en proie aux assauts du socialisme, qui enrôle contre la société tous les mauvais penchans, toutes les ambitions chimériques, toutes les idées absurdes. Le socialisme est à la fois odieux et impossible ; mais il est fort, parce qu’il parle aux griefs populaires au nom de la justice et de la vérité, parce qu’il offre des droits au service des intérêts, parce qu’il allume le fanatisme en flattant l’égoïsme ; il est fort encore, parce que nous lui frayons nous-mêmes la voie par la confusion de nos idées, par nos préjugés de langage, par la légèreté avec laquelle nous nous abandonnons aux fantaisies d’opinion et méconnaissons les nécessités, les intérêts, les droits des gouvernemens. Le socialisme est redoutable, parce que rien n’est plus dangereux que ce qui est en même temps fort et impossible. Le socialisme, enfin, sera notre ennemi éternel. La société, obligée de le combattre et de le vaincre chaque jour dans ce qu’il a d’absurde et de pervers, le verra toujours en face d’elle, parce qu’il puise son ambition et sa force à des sources que personne ne peut tarir. Exposée plutôt que défendue par le gouvernement qu’on vient de nous faire, il faut donc que la société se sauve elle-même. En dehors d’elle, hors de la démocratie et de la liberté, elle ne doit compter sur personne ni sur rien. Elle ne pourrait pas même se reposer sous le honteux abri du despotisme. Avec la fermeté d’un homme qui n’a jamais placé l’illusion entre la réalité et lui, et qui a l’habitude de regarder les difficultés en face, M. Guizot le déclare : « On ne supprime pas plus la démocratie dans la société que la liberté dans le gouvernement. Ce mouvement immense qui pénètre et fermente partout au sein des nations, qui va provoquant sans cesse toutes les classes, tous les hommes à penser, à désirer, à prétendre, à agir, à se déployer en tous sens, ce mouvement ne sera point étouffé. C’est un fait qu’il faut accepter, soit qu’il plaise ou qu’il déplaise, qu’il enflamme ou qu’il épouvante. Ne pouvant le supprimer, il faut le contenir et le régler, car s’il n’est contenu et réglé, il ruinera la civilisation, et fera la honte comme le malheur de l’humanité. » Puisque c’est en elle-même qu’elle doit trouver son salut, il faut donc que la société française se