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tait promis d’inaugurer à l’occasion des courses. On avait pensé que rien ne serait charmant comme de mener dans ces beaux lieux, pendant une semaine chaque année, la vie libre des eaux, moins les eaux et les malades. Chasses, forêts superbes, beau soleil, foule joyeuse, rien n’aurait manqué à ces réunions qui eussent pu attirer et retenir toute la jeunesse élégante ; mais on avait compté sans les lorettes, qui ont revendiqué leurs droits et détrôné d’un coup d’éventail les joies moins bruyantes des faubourgs aristocratiques. Ces déesses du plaisir y règnent maintenant en souveraines, et, hors leur essaim, l’hippodrome n’avait plus dans ces dernières années, pour spectatrices, que des visiteuses passagères, arrivant le matin pour repartir le soir ; encore étaient-elles fort rares, car il faut plus que de la bravoure pour expier par un voyage de vingt-cinq lieues le plaisir de voir courir quelques maigres chevaux. Les sportsmen cependant continuaient encore alors à y tenir leurs états. Pour dissiper l’ennui qu’ils n’osaient avouer, les plus jeunes faisaient assaut d’élégance et exhibaient les costumes les plus excentriques, tandis que leurs aînés assistaient autour des tables de jeu à de tristes catastrophes. Ladislas promenait son désœuvrement au milieu de ce monde inoccupé. Il avait loué un joli appartement dans une de ces petites maisons qui donnent d’un côté sur la grande rue de Chantilly, et de l’autre sur un jardin qui les sépare seul de l’hippodrome. Il essayait, sans trop y réussir, de s’amuser excessivement, ce qui est la grande occupation des jeunes gens oisifs. Après une journée consacrée aux paris, aux cigares, aux grooms, aux savantes combinaisons d’un book péniblement élaboré, arrivait le dîner, qui était bruyant d’ordinaire et égayé par les plus sémillantes houris de la Chaussée-d’Antin ; au dîner succédaient les danses les plus avancées. Les grandes dames qui faisaient les honneurs de ces bals étourdissans se départaient joyeusement à Chantilly de cette contrainte empruntée qu’elles revêtent à Paris, en l’honneur de quelques graves personnages qui considèrent leur réserve apparente comme une vertu de plus. Échappées à cette tutelle, éloignées de leurs graves patrons, entourées seulement des compagnons secrètement préférés de leur jeunesse et des complices de leurs erreurs, ne pouvant en imposer à personne, elles reprenaient leurs allures, et prouvaient qu’en matière de danse, elles peuvent en remontrer aux plus hardies coryphées de Mabille, qu’elles feignent de dédaigner à Paris. Ladislas n’avait jamais compris ni partagé l’enthousiasme que les lorettes inspirent à la jeunesse actuelle. Il les trouvait, la plupart, extrêmement sottes au moral, au physique passablement laides ou flétries. Il s’étonnait que les plus vieilles eussent d’ordinaire le plus grand succès ; il ne s’expliquait pas pourquoi l’on dédaignait les plus jeunes et les plus jolies, jusqu’à ce qu’un vieil élégant, ridicule et éreinté, eût mis leur beauté à la mode, en faisant