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LE CHÂLE VERT.

sont quelquefois les plus mal jugées. Qui sait, par exemple, si vous ne trouverez pas mauvais que j’essaie maintenant de remédier à ma première maladresse ?

— Il est certain, monsieur, que le remède serait pire que le mal, s’il y avait eu mal.

— Alors, madame, continua Ladislas avec une réserve timide, pardonnez-moi le mal involontaire et le remède maladroit. Je suis étranger, et cette qualité me donne peut-être des droits à votre indulgence.

Cela était diplomatique. Déclarer qu’il allait se taire, tout en annonçant qu’il était étranger, c’était à la fois exciter la curiosité de ses interlocutrices et les contraindre, par sa réserve, à continuer elles-mêmes la conversation, sous peine de montrer un injuste mécontentement, une susceptibilité exagérée. La dame blonde n’avait rien dit encore. Dans ce moment, soit qu’elle craignît que son silence, s’il se prolongeait, ne parût affecté, soit qu’elle sût gré au jeune homme des efforts qu’elle lui voyait faire, efforts aussi méritoires assurément que la course du matin, elle tourna vers lui la tête, et un regard spirituel s’échappa à travers les longs cils de ses yeux noirs.

— Vous êtes étranger, monsieur ? demanda-t-elle d’un ton presque interrogateur et d’une voix timbrée qui résonna dans le cœur du jeune homme.

— Oui, madame, répondit Ladislas un peu ému ; je suis étranger et pis que cela… je suis exilé.

— Exilé… Seriez-vous Polonais par hasard ? reprit vivement la jeune femme.

Ladislas tressaillit. Il regarda son interlocutrice avec surprise. En même temps passa par son cerveau une de ces idées qui viennent on ne sait d’où, qu’on accepte souvent sans réflexion, et qui jettent quelquefois dans notre vie les plus étranges complications. Une voix secrète lui souffla de taire sur ce point la vérité.

— Non, madame, je suis Espagnol, répondit-il. Et il proféra ce mensonge avec son impudence ordinaire.

— Excusez ma curiosité ; votre accent m’avait fait penser un instant que nous étions compatriotes.

— Compatriotes ! Vous n’êtes donc pas Française, madame ?

— Nous sommes Polonaises, monsieur.

— Polonaises ! répéta Ladislas stupéfait. Vous êtes Polonaise, madame !

Surprises de son étonnement, les deux femmes demandèrent en souriant ce qu’il voyait là de si étrange. Ladislas, remis de sa stupéfaction, et comprenant qu’il lui fallait toute sa présence d’esprit pour se tirer de la situation où son imprudence l’avait jeté, expliqua son excla-