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contenues sans doute dans le christianisme, mais qui ont reçu au siècle dernier leur complète application politique. Chacun a son principe d’ordre qui, pour lui, les renferme tous, et qu’il sert d’un culte exclusif ; chacun aussi a ses reproches à adresser à son voisin : à celui-ci, l’émigration et les ordonnances, 1815 et 1830 ; à cet autre, l’attaque étourdie et la molle défense du 24 février ; celui-ci craint l’irréligion, et celui-là l’intolérance. La question est de savoir si c’est leurs forces ou leurs faiblesses que les défenseurs de l’ordre veulent mettre en commun, et s’ils préféreront toujours s’arranger pour que leurs qualités se paralysent pendant que leurs défauts s’accumulent. Il n’est rien de plus aisé que de faire écrouler l’un sur l’autre la propriété foncière et la propriété industrielle, l’université et le clergé, les bonnes institutions de toutes les dates. L’œuvre est déjà bien avancée ; voulons-nous la pousser jusqu’au bout et abîmer dans un précipice sans fond les mille ans de l’histoire de France ? car, il ne faut pas s’y tromper, ce n’est pas telle période de cette grande histoire, ce n’est pas telle partie de la société française qui est en péril, c’est tout ce que nous avons voulu, fait, espéré depuis qu’il y a une France sur la carte du monde. Tout ce qu’une aristocratie militaire a défendu autrefois au prix de son sang, tout ce qu’a conquis au prix de ses sueurs le développement laborieux du tiers-état, tout ce qu’a inscrit dans nos lois la science d’une magistrature intègre, tout ce qu’a consolidé le travail paternel de la royauté, tout ce qu’a inauguré l’élan d’un peuple affranchi civilisation chrétienne du moyen-âge, civilisation royale du XVIIe siècle, civilisation libérale de 89, tout cela se joue dans la même partie et pour ainsi dire sur la même carte. Chacun dans cette mêlée peut invoquer ses mémoires de prédilection : saint Louis ou Malesherbes, Bossuet ou Montesquieu, Louis XIV ou Napoléon. Toutes ces grandes ombres nous demandent compte de ce que nous ferons de leur France. Amis de la société, nous n’avons que le choix de nous sauver ensemble ou de périr ensevelis dans le linceul de notre patrie. Pour nous qui parlons, en descendant dans notre cœur, nous y trouverions sans doute des regrets et des préférences, mais rien qui puisse nous arrêter un seul jour pour le moindre intérêt de notre cause commune. Et, forts de ce sentiment intérieur, nous prenons l’engagement de ne la laisser perdre de vue à personne.