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« Puisque je suis sur le chapitre de la poésie, écrit-il à Coleridge, je dois vous annoncer, à vous qui, dans la partie éloignée de notre île où vous habitez, n’avez point entendu parler d’une si bonne nouvelle, que George Dyer a préparé deux énormes volumes de poésie et de critique. Ils planent sur la ville et menacent de tomber cet hiver. Le premier volume contient toutes sortes de poésies hormis la satire personnelle à laquelle George, dans son prospectus original, renonce à jamais, glissant l’annonce de ce beau dessein entre le prix de son livre et la liste des souscripteurs. Le second volume est entièrement critique ; il y démontre, à la complète satisfaction du monde littéraire, de façon à imposer silence pour toujours aux objections, que le genre pastoral a été créé par Théocrite et poli par Virgile et Pope ; que Gray et Mason, qui chassent toujours de compagnie dans le cerveau de George, ont une quantité raisonnable de feu poétique et de vrai génie lyrique ; — que l’excès d’esprit perdit Cowley (avis aux modernes)… O George ! George ! ta tête est toujours dans le faux, et ton cœur toujours dans le vrai. Que n’ai-je un pouvoir égal à mes désirs ! je ferais appel aux bourgeois de ta terre natale, et ils viendraient en troupe, réunis au son de ton prospectus-trompette, et se disputeraient les places sur ta liste de souscripteurs ! Mais je ne peux mettre dans ta poche que 12 shillings, lesquels, j’en réponds, n’y feront pas long séjour, tirés d’un gousset presque aussi vide que le tien. N’est-ce pas pitié que tant de belle littérature soit perdue ? Mais, ma foi, je commence à sentir que j’allais tomber dans cette sorte de style que Longin et Denys d’Halicarnasse appellent justement le style affecté. »

C’est toute une histoire que ce grand ouvrage de George Dyer ; Lamb n’en tarit point.

« George Dyer est le seul homme de lettres avec lequel j’aie le bonheur d’être lié ; plus je le vois et plus je l’admire : il est la bonté même. Si je pouvais calculer au juste la date de sa mort, j’écrirais un roman dont George serait le héros ; je le saisirais à un cheveu près. George m’a amené un docteur A… Le docteur est un bon homme très plaisant, un agriculteur de génie, un homme qui noue ses culottes au genou avec de la ficelle d’emballage, et prétend qu’il a à se plaindre des ministres. Le docteur vint à parler d’un poème épique d’un certain Wilkie, appelé l’Épigoniade, dans lequel il nous assura qu’il n’y avait pas d’un bout à l’autre un seul vers supportable, mais dont tous les incidens et les caractères étaient copiés d’Homère. George, qui n’avait pas écouté le docteur, n’a pas plus tôt entendu le nom d’Homère, qu’il se lève et déclare qu’il faut qu’il voie le poème sur-le-champ : où le trouve-t-on ? Un poème épique de huit mille vers, et lui n’en avoir pas entendu parler ! Il peut renfermer quelques bonnes choses, et il est nécessaire qu’il le voie, car il a touché assez à fond ce sujet dans son essai sur l’épopée. George a touché assez à fond l’ode ; il a aussi préparé une dissertation sur le drame et le parallèle des théâtres anglais et allemand. Comme je doutais de sa compétence sur ce dernier point, sachant que son tour d’esprit particulier le porte au genre lyrique, je demandai à George quelles pièces anglaises il avait lues. Je trouvai qu’il avait lu Shakspeare, qu’il appelle un génie original, mais irrégulier ; mais il y avait pas mal de temps… Il ne semble pas connaître un mot de Fletcher, Ford, Marlowe, Massinger, etc.

« … Pauvre Dyer ! reprend Lamb, comme s’il se repentait de son innocente