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lège, elle n’a pas tenu les promesses de leur enfance : elle est coupable de tout ce qu’elle leur a refusé et de tout ce qu’elle a donné à d’autres. La vue d’une considération méritée, d’une prospérité bien acquise ou bien employée, les offusque et les gêne. Quand de tels hommes sentent peser sur eux un pouvoir sincèrement ami de l’ordre, ils vont nourrir à l’ombre la mélancolie qui les ronge ; mais s’ils entendent tomber des régions mêmes du pouvoir des paroles qui répondent à leurs sentimens, si le gouvernement se met à l’unisson avec eux pour désigner à l’inimitié publique tout ce qui sort un peu du niveau commun ; si le hasard des révolutions porte aux affaires des hommes qui sont avec eux en sympathie de position, de sentimens et de doctrines, attendez-vous à les voir sortir de leurs retraites et pulluler de toutes parts. Ils s’étalent au soleil ; ils prennent la parole les voilà orateurs de places publiques, chefs de clubs, candidats à la députation, ils vont remuer, dans leurs ateliers ou sur leurs sillons, cette classe honnête et laborieuse, pépinière féconde des richesses futures, qui, livrée à elle-même, n’attend que du travail ce que la nature lui a refusé. Ne comptez plus alors sur la moindre paix dans les populations, d’un bout à l’autre d’un pays, chaque coin de terre porte son petit élément de discorde, et comme sa matière combustible près de prendre feu au moindre choc.

Telle est, chacun de nous a pu s’en convaincre, l’influence morale des doctrines du pouvoir dans un grand état ; elles se communiquent avec une rapidité électrique du sommet jusqu’a la base, et d’autant plus aisément dans une administration hiérarchique et subordonnée comme la notre, qu’à chaque degré de l’échelle, le pouvoir a son représentant, animé de son esprit, fidèle image de sa nature, écho parfait de ses opinions. S’imagine-t-on, en effet, que ce soient uniquement des ambitions trompées, des rancunes impitoyables, qui, d’un bout de la France à l’autre, désignent à l’animadversion publique les fonctionnaires du dernier gouvernement ? Ce serait se tromper étrangement : l’ambition et la rancune n’ont pas ce pouvoir sur le bon sens général d’une nation. Ce ne sont pas même les intérêts, souffrant de cette invasion d’incapacités présomptueuses qui ont réclamé le plus haut. Telle est la puissance de cette grande organisation dont le réseau couvre la France, qu’après tout les affaires se font toujours, et la machine administrative, tellement, quellement, avec quelques accrocs sur la route, arrive toujours à son but. Avec des bravi de bas étage travestis en préfets, avec des rédacteurs de petits journaux grotesquement habillés de la robe de procureurs-généraux, comme, après tout, il est difficile de marcher de travers sur des lignes droites et bien tracées, la justice et l’administration ont, depuis dix mois, à peu près fait leur métier. Honneur en soit rendu au code civil et aux instructions impériales ! Cependant le choix et le caractère des fonctionnaires publics d’un gouvernement ont une im-