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mois durant, et combien nous en souffrons encore ! Le programme de M. Odilon Barrot parle enfin comme on parlait avant le règne de ces hallucinations désastreuses dont nous avons si long-temps subi le verbiage. Ce n’est qu’au programme sans doute, et les programmes ne sont pas des actions. Il y a toujours quelque banalité dans ces thèmes généraux, qui ont le tort inévitable d’être encore des promesses après tant d’autres ; mais les promesses qu’on nous donne cette fois sont d’un ton qui nous plait. Il y est dit franchement que l’ordre matériel, l’ordre quand même, est le premier besoin de la société, que la bonne constitution de la force publique, est la première garantie de cet ordre, que cet ordre enfin ne saurait admettre la dilapidation financière dans laquelle on s’abîme en substituant partout, sous prétexte de charité sociale, l’action collective et stérile de l’état à la libre action, des individus. Nous souhaitons que la rigueur des événemens ait développé l’énergie de M. Barrot jusqu’à la maintenir au niveau des intentions qu’il annonce ; ces rudes épreuves sont faites pour retremper les gens ! Les collègues de M. Barrot ne sont pas moins attachés que lui aux principes de conservation et de stabilité sur lesquels tout ce cabinet va s’asseoir. La France n’entend plus être inquiétée en aucun point de son état social ; il y a des antécédens et des liaisons qu’elle ne pardonne à aucun prix. La révolution de février ne lui a été si intolérable que pour avoir eu la fantaisie de maudire la société présente et de la refondre. La société se venge en repoussant de son service tout ce qui, de près ou de loin, a participé au mouvement de février. C’est pourquoi le ministère ne contient pas dans son sein d’élémens pris à cette date ; c’est là, c’est par cette exclusion nécessaire, qu’il est vraiment en progrès sur celui qu’il remplace ; c’est par là qu’il se rapproche peut-être plus du pays que de l’assemblée.

Tel qu’il est cependant, ce ministère ne répond pas entièrement à l’attente trop pressée du pays. On rend justice aux qualités distinguées de ses membres, à leur caractère, à leurs services passés ; ils sont évidemment au meilleur rang parmi les seconds, mais ils ont eux-mêmes trop de sens et d’esprit pour ne pas comprendre qu’ils ne ont point du rang des premiers. Ils ne le comprennent pas seulement, ils l’avouent, et s’honorent de tenir une place où, seuls en ce moment, ils peuvent être utiles. La conscience de leur utilité justifie suffisamment à leurs yeux la mission qu’ils remplissent, et leur permet de traiter d’égal à égal avec des influences plus hautes que les leurs et pourtant moins propres à cette tâche difficile dont ils s’acquittent aujourd’hui. S’ils ne sont point les chefs du parti modéré, ils en sont, pour ainsi dire, les têtes de colonne. Leur devoir était d’entrer tout d’abord dans la mêlée ; le péril qu’ils acceptent relève leur abnégation, et ne permet pas qu’il y ait au-dessus d’eux l’ombre d’une supériorité blessante. L’opinion publique s’était, il est vrai, d’avance inclinée devant d’autres noms, elle en espérait un concours plus actif dans le nouvel ordre de choses ; mais fallait-il les livrer aux hasards d’une assemblé dont l’esprit général est tout différent de celui dans lequel ils y ont eux-mêmes été envoyés ? Ces noms sont l’espoir et comme la citadelle de la France conservatrice et modérée : fallait-il risquer de les user dans quelque lutte soutenue avec les armes inégales d’un pouvoir démembré contre une constituante réputée infaillible ? ou bien était-il désirable de les ranger précipitamment auprès d’un Bonaparte, pour lui créer cette illusion dangereuse que sa