Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de cottage dont il décrit si bien les agrémens rêvés, à Maïano où il passe un mois de mai italien, dans les anecdotes qu’il nous raconte sur les actrices qui ont épousé de grands seigneurs ? Il se plaît surtout à la société des femmes. Dans une série d’esquisses sur la beauté des femmes, il résume ces graves controverses, jamais apaisées depuis qu’il y a des artistes et des amoureux, sur la nuance des cheveux, la couleur des yeux, le charme d’une fossette, la grace d’une démarche, et, dans ce galant procès, un texte de poète est invoqué à l’appui de chaque opinion, ce qui fait du débat une vraie Guirlande de Julie adressée à la beauté idéale. Leigh Hunt possède un cheveu de Lucrèce Borgia qui est produit comme pièce de conviction. Ce cheveu était conservé à Milan dans la Bibliothèque Ambrosienne. Il fut donné à Byron, qui en fit cadeau à son ami Leigh Hunt en écrivant sur l’enveloppe ce vers de Pope, emprunté précisément au Rape of the Lock :

Et la beauté nous mène avec un seul cheveu.

« Si jamais cheveu fut doré, s’écrie notre critique, fier d’un si beau morceau de bric-à-brac, c’est celui-là. Il n’est pas rouge, il n’est pas blond, il n’est pas châtain ; il est doré, et pas autre chose. » Dante, l’Arioste, Pétrarque, le Tasse, Shakspeare, fournissent chacun quelque trait à la Pandore de Leigh Hunt ; notre La Fontaine est le parrain de son nez, avec ces jolis vers à la duchesse de Bouillon :

       Peut-on s’ennuyer en des lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
       D’une aimable et vive princesse,
A pied blanc et mignon, à brune et longue tresse ?
Nez troussé, c’est un charme encor selon mon sens,
       C’en est même un des plus puissans.
Pour moi, le temps d’aimer est passé, je l’avoue,
       Et je mérite qu’on me loue
       De ce libre et sincère aveu,
Dont pourtant le public se souciera fort peu.
Que j’aime où n’aime pas, c’est pour lui peu de chose.
       Mais s’il arrive que mon cœur
Retourne, à l’avenir, dans sa première erreur,
Nez aquilins et longs n’en seront point la cause.

On ne peut retenir un sourire à la lecture de ces vers, quand on songe au nez aquilin et long, dont le bonhomme était lui-même affligé. « Tous les Pidoux ont du nez abondamment, » écrivait-il un jour à sa femme. La Fontaine était Pidoux par sa mère. Le rire augmente, et Leigh Hunt n’y aurait pas résisté, s’il avait fait ces rapprochemens, lorsqu’on se rappelle la question saugrenue de Gargantua : « Pourquoi est-ce que frère Jean a si beau nez ? » et les burlesques réponses de Grandgousier, de Ponocrates et de frère Jean. N’est-il pas permis de penser à Rabelais quand on parle de La Fontaine ?