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il est payé, en temps de crise, par celui qui possède ces choses, qui les produit ou qui les vend.

Pénétrez-vous de ce principe, exercez-vous à en surprendre les effets subtils dans les diverses transactions, et vous serez bientôt capable d’apprécier, avec une clairvoyance parfaite, la portée politique, la valeur économique ou la tendance morale de tel impôt qui vous sera proposé.

Appliquons ce mode d’expérimentation à l’impôt sur les revenus mobiliers. La taxe sur les revenus est, pour ainsi dire, l’enfance de l’art fiscal. L’idée d’exiger une cotisation proportionnée aux ressources de chacun est, en effet, celle qui se présente le plus naturellement à l’esprit ; aussi croyons-nous qu’on trouverait des traces de son application chez presque tous les peuples anciens ou modernes. Il y a une apparence de brutalité dans l’impôt réel, qui frappe les choses sans avoir égard à la situation de celui qui les possède. L’impôt sur les ressources effectives de chaque famille serait assurément le plus équitable, s’il était possible de le mesurer avec exactitude ; mais, sans même tenir compte de la facilité qu’ont la plupart des contribuables à rejeter le fardeau sur autrui, il suffit d’un instant d’attention pour reconnaître que l’impôt sur les revenus ne satisfait pas plus que les autres à cette justice distributive que rêve la démocratie.

Pour que l’égalité ne fût pas une illusion, il faudrait tenir compte ; non-seulement des ressources, mais des besoins ; il faudrait ouvrir une enquête sur la situation de chaque famille. Tel revenu qui est la misère pour un ménage chargé d’enfans n’est-il pas une sorte d’opulence pour l’insouciant célibataire ? Un médecin, un artiste en renom, ont souvent à subir des frais de représentation, des nécessités de dépense qui absorbent leurs bénéfices apparens. Riches aux yeux de la foule envieuse, ils sont plus gênés en réalité que tels obscurs praticiens. Entre deux actionnaires touchant 3,000 francs chacun de dividendes, l’un aura engagé 30,000 fr., l’autre 300,000 ; ils auront à contribuer pour la même somme, et cependant l’un sera en perte, tandis que l’autre réalise un bénéfice exceptionnel.

La prétention de faire cesser les privilèges dont jouissent les capitaux circulans, d’établir, comme on a dit dans l’exposé des motifs, une égalité proportionnelle entre les charges applicables aux revenus mobiliers et celles qui atteignent les revenus immobiliers, ne soutient pas mieux l’examen. Il y a une distinction qu’on néglige d’observer entre les détenteurs des capitaux mobiliers et les rentiers proprement dits. Les capitalistes spéculateurs, les vendeurs d’argent, ont la ressource de rejeter l’impôt sur l’acheteur, en faisant payer leur marchandise plus cher. Le contraire a lieu pour le rentier purement consommateur. Loin d’être affranchi des charges publiques, il en supporte lourdement le poids : d’abord, par l’élévation du prix égale au montant des contributions