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Rappelons, en commençant, un principe qui devrait toujours éclairer les discussions de finances. Tout impôt, quels que soient son nom et son essence, devient, par la force naturelle des choses, un impôt de consommation. Prélevez une somme sur les terres ou sur les maisons à titre d’impôt foncier, sur l’industrie à titre de patentes, sur les alimens les matériaux de travail, les transports, les transactions, à titre d’octrois où de contributions indirectes ; frappez le capital circulant ou les revenus mobiliers : le contribuable, quel qu’il soit, propriétaire où escompteur, manufacturier où marchand, fera un calcul instinctif par suite duquel les prix des loyers, des capitaux, des marchandises, s’élèveront en proportion de la taxe.

La grande majorité d’une nation se composant de gens qui sont à la fois producteurs et consommateurs, une sorte d’équilibre s’établit tant bien que mal. Si le propriétaire s’est déchargé de sa contribution sur le drapier où le tapissier auxquels il loue des boutiques, ceux-ci, par un calcul semblable, lui vendront plus cher les meubles ou les étoffes dont il aura besoin. En définitive, les impositions n’en ont pas moins été acquittées entre ces trois contribuables ; seulement chacun d’eux a payé, non comme propriétaire ou industriel, mais en sa qualité de consommateur et dans la mesure de ses jouissances. Tel est, en thèse générale, le mécanisme de l’impôt.

Il y a toutefois des classes pour lesquelles ce retour d’équilibre n’existe pas : ce sont celles qui, consommant sans produire ou du moins sans être intéressées à la vente de leurs produits, n’ont aucun moyen de se faire rembourser leur cotisation. C’est le cas pour les rentiers oisifs, pour les employés vivant d’un traitement fixe, et surtout pour les ouvriers, dont les salaires se règlent beaucoup moins d’après le prix des subsistances que d’après les proportions plus ou moins favorables du travail demandé et offert. Ces derniers sont d’autant plus à plaindre quand l’excès des impôts a augmenté le prix des choses, que cette cherté, comprimant la consommation, a pour effet de tarir les sources du travail.

Le mal devient-il intolérable, une réaction ne tarde pas à se manifester. À mesure que chacun s’impose des privations et restreint ses dépenses, le propriétaire loue plus difficilement ses maisons, ou est plus mal payé de ses locataires ; le patenté ne vend plus ses marchandises, ou ne s’en défait qu’en abaissant les prix. Il n’y a plus moyen de recouvrer la somme versée dans les mains du collecteur des revenus publics par un exhaussement proportionnel du prix des choses : l’impôt reste alors à la charge des contribuables, et cela dans le moment même où ses revenus et ses profits s’amoindrissent. De ces faits, trop évidens pour être contestés, ressort cet axiome :

En temps ordinaire, l’impôt est payé par celui qui use des choses imposables ;