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de Rougé, Lesueur, de les rejeter vers l’époque de l’ancien empire, avant l’irruption des barbares. Placer Osortasen au temps des pasteurs, c’est comme si l’on plaçait le règne d’Adrien sous Attila.


Seconde cataracte.

Ne pouvant aller aujourd’hui à Florence ou à Paris compléter nos études sur les antiquités absentes de Ouadi-Halfa, nous avons dit adieu aux antiquités, et nous nous sommes dirigés vers la seconde cataracte et vers le rocher d’Abousir, d’où l’on en saisit tout l’ensemble, et qui est la dernière étape du voyage ordinaire d’Égypte et de Nubie. Entre les ruines de Ouadi-Halfa et le rocher d’Abousir, on parcourt deux lieues du désert, en suivant le bord du Nil. Dans cet intervalle, on n’aperçoit aucune trace d’habitation, sauf une espèce de tour sur une colline, et plus bas une petite église ruinée ou nous sommes entrés. M. Durand y a trouvé des peintures chrétiennes en assez mauvais état, mais offrant quelques particularités remarquables.

Du point où s’élève la chapelle abandonnée, on domine l’ouverture de la cataracte. En cet endroit, on n’entendait pas encore son bruit, et, le Nil étant fort bas, elle méritait encore moins son nom qu’à l’ordinaire ; mais la fine verdure des arbrisseaux qui croissent au milieu des rochers noirs était d’un effet charmant. Ces rochers noirs s’élevant au-dessus de l’onde presque tarie me rappelaient les animaux de bronze des bassins de Versailles, quand les eaux ne jouent pas. Je demande pardon à ceux que scandaliserait ce souvenir de Versailles auprès de la seconde cataracte ; mais que diront-ils si je leur confesse qu’un instant auparavant, parlant de Paris avec un de mes compagnons de voyage, je me suis surpris à dire : Ici.

En approchant d’Abousir, la cataracte commence à gronder, et, quand on arrive au sommet du rocher, on la voit se développer dans toute son étendue. C’est un très beau et très singulier spectacle que cette multitude d’îlots abrupts entre lesquels les mille bras du Nil bouillonnent. La couleur noire et le poli des rochers leur donnent l’apparence du basalte[1]. Au delà du tropique, je pouvais penser aux basaltes du nord, aux Orcades, au Pavé des Géans ; mais le soleil se couchant sur des sables me ramenait au désert. Ce soleil était le plus lointain que je devais saluer dans ce voyage, et probablement dans tout le reste de ma vie. Au sud, j’enfonçai mon regard le plus loin qu’il m’était possible vers les grandes montagnes qui, de ce côté, s’élèvent presque indiscernables à l’horizon ; je me retournai vers le nord, et je fis avec une certaine émotion mon premier pas vers la France.

Avant de faire, ce pas solennel, je parcourus des yeux les noms

  1. Ce sont, suivant M. Caillaud, des rochers d’amphibole et de feldspath.