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noûment si regrettable à plusieurs égards. Quand les destinées de la Suisse se trouvèrent remises en question sous des influences opposées à celles qui, seize ans précédemment, avaient amené la dissolution de l’ancien régime, M. de Rovéréa était parvenu à la plénitude de l’expérience et de la modération. Son action personnelle, très marquée, quoique peu manifestée ne s’exerça que pour adoucir les haines, condamner les représailles et faire sentir aux chefs des anciennes aristocraties, enivrés d’un triomphe qu’ils n’avaient pas remporté, la nécessité de traiter avec des intérêts non moins légitimes, quoique moins anciens, sur la base de concessions réciproques et d’une franche égalité. Le quatrième volume des Mémoires appartient presque entier au récit des événemens par lesquels, à partir du 22 décembre 1813, la face politique de la Suisse changea rapidement, ainsi que des négociations qui, régularisant l’ouvrage des mouvemens populaires et des opérations stratégiques, amenèrent les résolutions du congrès de Vienne et la conclusion de ce pacte fédéral, récemment et profondément modifié par l’action réfléchie de la majorité incontestable des populations helvétiques.

Aux transactions politiques de 1815 finissait la carrière publique du colonel de Rovéréa : ses Mémoires personnels s’arrêtent également à cette époque ; mais le lecteur ne prendrait pas, sans un sentiment de triste désappointement, congé de cette figure loyale et distinguée avec laquelle, il a contracté des liens d’intimité s’il ne pouvait suivre, un instant du moins, dans les scènes graves et paisibles qui ont terminé le drame de sa vie, l’homme d’état, le soldat que le déclin de ses forces obligeait de se renfermer entre les murs domestiques, mais dont l’esprit, tourné vers les choses éternelles, fit paraître dans cette direction nouvelle, la chaleur la plus douce et la plus bienfaisante activité. Un dernier chapitre dû à la plume élégante et modeste de M. Charles Eynard, consacre ces « souvenirs des dernières années et de la mort de M. de Rovéréa. » Une piété toujours éclairée respire dans ce récit soigneusement dégagé de toute expression technique, de toute controverse, de tout ce qui pourrait rétrécir la pensée ou affaiblir le cœur. On croit en le lisant, contempler ces teintes sérieuses et dorées que la clarté du soir répand sur un beau paysage. La vie publique de M. de Rovéréa, les conversations de sa vieillesse, les maximes échappées à sa longue expérience, fournissent un commentaire vivant à cette question, la plus importante des temps modernes : « Que doit la religion avoir à faire dans la politique ? » Sans avoir jamais, sur ce sujet, formulé aucune sentence, M. de Rovéréa, par ses actions, a prouvé qu’il aurait répondu sans hésiter : « Toute chose, pourvu que la politique n’ait rien à faire dans la religion. »

A. C.


V. de Mars.