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modération, dans quelques-unes des scènes du drame terrible qui se déroulait autour de ses montagnes natales, condamné prématurément au repos par l’arrêt qui frappait sans retour les institutions auxquelles il avait donné son adhésion réfléchie et son concours mesuré, gardant pourtant dans la retraite l’exactitude et la liberté de son jugement sur les événemens dont la Suisse ressentait le contre-coup, et les enregistrant avec une appréciation très fine de leur importance relative, s’interposant enfin comme médiateur courageux et désintéressé dans les arrangemens sur lesquelles ont reposé, pendant la paix générale, de 14815 à 1846, l’existence européenne et l’organisation intérieure de la Suisse, M. de Rovéréa rassemblait en sa personne les habitude du soldat, les sentimens du magistrat, la vocation du négociateur, les qualités fort distinctes des populations françaises auxquelles il appartenait par la naissance, et des patriciats allemands, dont le plus illustre l’avait, comme en prévoyance de ses loyaux services, admis de bonne heure dans son sein. Ses Mémoires, rédigés avec un soin minutieux, ne sont guère composés que de résumés ; il s’y montré très sobre de détails de famille, et les documens originaux que, d’espace en espace, il y insère, sans les analyser, ont presque tous un prix véritable pour le lecteur qui cherche à se rendre compte du mouvement des passions et des sentimens pendant l’époque dont M. de Rovéréa s’est fait l’annaliste, époque dans le sein de laquelle ont germé toutes les perturbations et les résurrections partielles dont nous sommes maintenant les témoins.

Le style de cette composition est correct sans affectation de rigueur grammaticale, — dégagé sans recherche de légèreté, — clair et toujours d’excellente compagnie. Les morceaux écrits pendant les dernières années du XVIIIe siècle n’échappent pas entièrement au ton d’emphase dont les meilleurs esprits ne savaient pas alors se tenir exempts ; mais on regrette peu ce cachet de l’époque, qui complète la vérité des descriptions. L’impartialité de M. de Rovéréa n’est jamais sceptique, de même que son adhésion à une cause quelconque n’est jamais donnée sans réserve de son jugement personnel ; il possédait le rare mérite de s’attacher sans idolâtrie, d’admiré sans engouement, de marcher sans entraînement, et de suivre dans la modification graduelle de ses jugemens la progression que suit le temps lui-même quand il amène de nouveaux points de vue et fournit des termes imprévus de comparaison. Quant aux grandes controverses politiques dont la Suisse fut le théâtre, et qui s’y poursuivirent avec plus d’acharnement encore que dans la plupart des pays voisins, M. de Rovéréa se trouvait placé de manière à les discuter avec une supériorité de connaissances et une froideur de jugement qu’on aurait vainement cherchées dans d’autres arbitres, car sa naissance l’avait mis au milieu d’une population heureuse, mais sujette, d’une noblesse respectée, mais comprimée ; il n’appartenait exclusivement à aucun intérêt, à aucun ordre, et, comme on le dirait aujourd’hui, à aucune nationalité. Il avait eu de bonne heure l’occasion de juger les choses par l’essence de leur nature, sinon, par les détails de leur extérieur ; il avait pu se faire une idée calme et rassise de ce mélange de biens et de maux qui, sous les gouvernemens expérimentés, mais vieillis, devient le lot des peuples : institutions propres à encourager la fidélité sans pouvoir exciter l’enthousiasme, et qui, lorsqu’un orage politique les a renversées, ne sauraient, avec raison ni justice, renaître sans subir de profondes modifications.