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ouvriers ? Point ; Mably n’a pour leurs travaux et pour eux-mêmes que du dédain. Y a-t-il du moins pour eux du bien-être ? Pas davantage ; le bonheur est de vaincre ses besoins et d’être pauvre. Les classes ouvrières veulent de la liberté du respect, de l’aisance ; le communisme, par l’organe de son grand apôtre, les enferme sous clé dans un pénitencier, leur lance le mépris, les condamne à un perpétuel dénûment. Qu’est-ce que ce système est donc venu faire parmi nous ?

M. Franck a bien choisi son titre : le communisme est jugé par l’histoire. Il est réprouvé par le témoignage des siècles passés, et l’est par la raison. Il le sera désormais pour les maux qu’il a causés parmi nous, rien qu’en montrant à la porte. Il n’en mourra point cependant, parce qu’il est dans la destinée du genre humain que le mal ne soit jamais complètement extirpé ; mais serait-ce trop se flatter que de croire que notre génération au moins restera désabusée, et qu’en disparaissant de la scène, elle léguera aux siècles futurs ses avertissemens solennels, ses recommandations pressantes ?


MICHEL CHEVALIER.


Mémoires de M. de Rovéréa, publiés par M. de Tavel, ancien avoyer de Berne, avec, une préface de M. Monnard[1]. — Placée entre trois grandes régions, dont les populations diverses s’unissent, sans se confondre, dans les nœuds d’une confédération qui en lie les extrémités, la Suisse exerce en Europe une influence bien supérieure à son étendue et à ses ressources matérielles. Destinée à prévenir les collisions d’intérêts discordans, entre lesquels doit s’établir sa neutralité conciliante, elle souffre cruellement des chocs qu’elle ne parvient point à détourner ; aussi le soin de sa conservation exige qu’elle veille sous les armes, et qu’une puissante organisation militaire représente chez elle ces panoplies épaisses dont la prudence de nos ancêtres revêtait les juges des champs-clos. Cette situation centrale, cette habitude d’observation prévoyante, multiplient en Suisse les connaisseurs intelligens des situations politiques, les justes appréciateurs des mouvemens européens ; il est toujours curieux, souvent profitable, de savoir ce que pensent, sur les révolutions contemporaines, les hommes d’élite de ce pays, formés de longue main à l’art difficile de se gouverner eux-mêmes. À bien des égards, c’est aux étrangers plus qu’à leurs propres concitoyens que se rendent actuellement utiles ces intelligences vives et calmes, car la Suisse a subi tout autant que les contrées limitrophes l’influence désastreuse, quoique passagère, d’un système d’exclusion qui fait d’une aptitude prouvée l’obstacle le plus considérable à l’accès des fonctions publiques.

Ces réflexions s’appliquent d’une manière fort naturelle à l’auteur des Mémoires publiés par M. de Tavel. M. de Rovéréa, que l’explosion de la révolution, helvétique, en 1798, surprit au milieu de sa carrière[2] et dans le plein développement de sa maturité, quitta ce monde à la veille des événemens[3] qui ouvrirent de nouveau à la France et à l’Europe la carrière, quelque temps fermée, des révolutions. Acteur plein d’énergie, de persévérance, et cependant de

  1. Berne, 1848, — à Paris, chez Klincksieck, 11, rue de Lille, 4. vol.
  2. M. de Rovéréa était né à Vevey en 1763.
  3. Les journées de juillet 1830.