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Colli, qui était entré il y a quinze jours, lors de la retraite de M. Gioberti le roi appelle au département des affaires étrangères un magistrat de Turin, M. de Ferrari. M. de Colli, vieux soldat de l’empire, entendait assez son métier pour ne le faire qu’à propos et selon la mesure du possible ; il a donné sa démission parce qu’il ne voulait pas suivre ses collègues dans la voie plus que téméraire où ils s’engagent ; on paraît croire que M. de Ferraris serait plus disposé à fermer les yeux. Étrange fortune du roi Charles-Albert ! souverain d’un peuple militaire et conquérant, mais en même temps monarchique par tradition et par goût, il est placé entre une question d’honneur national et une question de sécurité pour son trône et sa dynastie. Ayant en lui plus d’énergie qu’aucun autre état italien, le Piémont se sent aussi plus vivement humilié par la domination étrangère ; mais ceux qui crient le plus haut aujourd’hui : Dehors les étrangers ! ce sont les partisans fanatiques de cette république unitaire dans laquelle M. Mazzini voudrait absorber tous les gouvernemens, et le Piémont reste encore attaché très sincèrement à sa royauté. Telle est la contradiction d’où M. Gioberti essayait de se tirer par une autre impossibilité. Il se mettait à la tête du mouvement anti-autrichien, et il prétendait se distinguer du mouvement révolutionnaire dont ç’a été justement l’habileté de se confondre avec l’autre. Il armait à grand bruit contre les troupes impériales, et il s’apprêtait à comprimer l’essor républicain de Florence et de Rome. Aux prises avec cette double tâche, il a succombé malgré la faveur populaire qui le protégeait ; les circonstances ont été plus fortes que sa bonne volonté. Le cri public l’appelait l’homme du siècle ; la faction mazziniste qui l’a débordé, qui menace chaque jour davantage de pénétrer jusqu’au ministère, qui fait de Gênes une autre Livourne, la faction ultrà-démocratique à laquelle on tend la main dans le parlement proclame aujourd’hui que M. Gioberti est lui-même ce jésuite moderne dont il a tant parlé.

Le roi, par une espèce de désespoir, comme s’il demandait seulement à sortir de ses terribles embarras par une issue qui fût au moins éclatante, le roi Charles-Albert accueille et provoque les démonstrations belliqueuses du parti avancé ; il l’encourage dans ses espérances de révolution par des combinaisons ministérielles qui lui laissent presque tout l’empire et semblent déjà une transition pour aller jusqu’à lui, — dans ses espérances de guerre par la faveur qu’il accorde aux nouvelles républiques italiennes, dont le rêve est cependant d’emporter un jour ou l’autre sa couronne. Depuis le peu de temps que M. Gioberti a quitté le ministère, les chambres n’ont pas cessé de manifester une même impatience d’union avec les républicains de Rome et de Florence, de rupture ouverte avec les impériaux. Le ministre Cadorno a déclaré en plein parlement que le gouvernement voulait avant tout la guerre avec l’Autriche, que la reconnaissance officielle des républiques de l’Italie centrale dépendait uniquement du vote des chambres, que l’intention du gouvernement était d’ailleurs de protéger tous les peuples italiens. Dans la discussion de l’adresse, la chambre s’est montrée particulièrement défavorable au pape, et par conséquent toute portée vers les révolutionnaires. M Brofferio s’est fait beaucoup applaudir en discourant contre la souveraineté temporelle du saint-siège. Enfin l’adresse des députés sardes et celle de la consulte lombarde, qui réside à Turin, sollicitaient la guerre avec instances ; ces instances ont reçu l’approbation solennelle du roi.

Ce n’est assurément ni l’intérêt de la France, ni le bonheur de l’Italie, que