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au préfet de la Seine, en l’admettant sur ses bancs ; le préfet de police, moins heureux, n’y siégera pas.

Des exclamations d’horreur sur la prodigalité des frais de représentation assignés au président de la république, des interpellations de M. Martin Bernard sur la clôture d’un banquet par un commissaire de police, des interpellations de M. Buvignier sur les affaires d’Italie, voilà tout le menu du tapage que l’extrême gauche a exécuté cette quinzaine dans le parlement, afin de n’en pas perdre l’habitude. Nous n’en aurions même fait aucune mention, si l’on n’avait trop bravement triomphé d’avoir opposé M. Barrot d’aujourd’hui à M. Barrot d’autrefois. Qui donc voudrait que les deux se ressemblassent en des circonstances si différentes ? Et si M. Barrot parlait le langage de l’agitation dans un temps où il était permis de croire toutes les agitations innocentes, qui donc serait fâché qu’après avoir, à ses dépens, expérimenté leurs écueils, il parle aujourd’hui le langage d’un homme de gouvernement ?

L’attitude des accusés de Bourges, le ton de hauteur avec laquelle ils récusent ou acceptent les débats, le sans-façon avec lequel ils se mettent en dehors ou au-dessus des institutions établies, la confiance qu’ils affectent dans leurs doctrines anti-sociales, la foi qu’ils semblent garder dans ce peuple imaginaire dont ils se supposent entourés, toute la physionomie de ce vaste procès montre assez combien l’idée de gouvernement et d’autorité légale a faibli dans des consciences égarées. C’est donc à l’autorité de se manifester pour qu’on la sente, de retenir le libre usage de ses forces, de préserver par sa vigueur tous ses moyens d’action, de défendre par sa vigilance les bases solides sur lesquelles elle repose. Ces bases sont maintenant attaquées : on leur livre un assaut continuel, un siége en règle. Au milieu de la sourde fermentation qui couve dans les villes, les campagnes ont encore à peu près échappé aux prédicateurs de mauvaises doctrines ; pendant que toutes les institutions étaient ébranlées ou relâchées, l’armée a sauvé sa robuste organisation et son loyal caractère. C’est sur la campagne, c’est sur l’armée, que la propagande révolutionnaire tourne désormais tous ses efforts. M. Proudhon donne gratuitement son journal aux soldats, et tous les journaux de la montagne s’épuisent à nous prouver qu’ils ont eu des soldats dans leurs banquets socialistes. En même temps, ils s’appliquent à rallumer chez les paysans des rancunes éteintes, et ils célèbrent comme des victoires les désordres qui peuvent naître dans le moindre cabaret du dernier hameau.

Le beau patriotisme et le glorieux début pour des bienfaiteurs de l’humanité ! Nous ne croyons pas qu’ils réussissent. Ce peuple à l’aide duquel il font les émeutes, ce peuple orageux et vagabond des grandes cités ne saurait se recruter si vite dans des populations isolées et paisibles ; mais il ne faut pas s’endormir au bruit de la sape, et nous ne sommes rassurés qu’en voyant tant d’honnêtes et courageux esprits qui veillent. Le pouvoir en somme se raffermit, et la conscience de son affermissement lui rend de l’essor ; elle en prête à la vie publique, au crédit, aux affaires ; la rente, aujourd’hui plus incertaine, a haussé avec une rapidité merveilleuse ; les boutiques ne sont plus aussi vides, les salons se rouvrent. On attend sans trop d’anxiété les élections prochaines ; le bon accord des opinions modérées et des hommes raisonnables dans le comité de la rue de Poitiers semble partout d’un favorable augure. Le manifeste qui va pa-