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Rendons ceci plus sensible par un exemple, et montrons en même temps que la valeur d’échange, dans la série du progrès industriel, se rapproche autant que possible de la valeur utile, sans qu’on puisse pourtant affirmer qu’elles coïncident jamais parfaitement.

Supposons deux associations telles que les définit M. Vidal : l’une en Amérique produisant du coton, l’autre en France produisant des tissus de coton ; celle-là ayant besoin de donner du coton pour se procurer des tissus, celle-ci de donner des tissus pour acquérir la matière première. Quelle est, pour l’association américaine, la mesure de la valeur utile du coton qu’elle produit ? C’est la quantité de tissus qu’elle a besoin de se procurer moyennant son coton. Il en est de même, en retournant les termes, pour l’association française. Si, des deux côtés, le besoin est égal ou également défini, c’est-à-dire si chaque association peut fixer d’avance l’étendue de son besoin, il est clair que, pour chacune, la valeur d’échange et la valeur utile seront une seule et même chose ; mais si le besoin ne peut être prévu avec précision, s’il demeure incertain, variable, l’appréciation relative des deux produits change : ils ne peuvent plus, au moment du marché, se mesurer réciproquement et avec exactitude par leur valeur utile ; une inconnue s’introduit de part et d’autre dans l’équation ; la spéculation commerciale, c’est-à-dire le jeu à l’imprévu et le calcul du probable, intervient dans l’estimation de la valeur, qui prend alors le caractère de valeur échangeable. C’est justement dans des circonstances semblables qu’ont lieu toutes les opérations commerciales. À moins de nous ramener à la tente du pasteur nomade ou au domaine du vieux Romain qui ne consommaient que ce qu’ils avaient eux-mêmes produit, je dis que le fait de l’échange, avec le double caractère de la valeur qui en est inséparable, se manifestera partout et toujours. Maintenant, le fait simple que j’ai supposé, imaginez-le multiplié, compliqué, croisé entre cent mille, un million d’associations ou d’individus, embrassant cent ou mille produits, et vous aurez les échanges tels qu’ils s’accomplissent et s’accompliront sans cesse dans l’univers, avec plus ou moins d’activité, plus ou moins d’étendue, mais avec les mêmes caractères. Au sein de ce mouvement complexe, la valeur utile sera toujours estimée par le besoin, et la valeur échangeable sera toujours la valeur utile diversement modifiée, augmentée ou diminuée, suivant la proportion variable qui pourra se supputer entre les degrés des divers besoins à satisfaire et la somme des divers produits à échanger. On doit remarquer que plus les produits seront nombreux, plus la concurrence sera active, et plus la valeur vénale, la valeur en échange tendra à se rapprocher de la valeur utile, celle que déterminent simplement les besoins. Les économistes ont eu par conséquent raison de dire que vouloir fixer la mesure invariable et absolue de la valeur, ainsi que le demandent les socialistes, c’est chercher la quadrature du cercle. En raillant les