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qui tentent d’en faire sortir le peuple ne sont que d’ignorans agitateurs, des paresseux inquiets, des esprits malades et funestes.

J’arrive à la seconde partie du réquisitoire socialiste, à celle qui attaque l’économie politique, à ce que j’ai appelé le point de droit, à la question de science pure. Ici la polémique du socialisme s’appuie sur un préjugé d’ignorance. Je ne relèverai pas l’outrecuidance avec laquelle les socialistes traitent cette pauvre économie politique ; j’essaierai seulement de préciser, entre elle et eux, le point du débat. La première chose qu’ils lui reprochent, c’est justement de vouloir rester ce qu’elle est, c’est-à-dire une science, au lieu de devenir ce qu’elle serait entre leurs mains, c’est-à-dire un roman.

Comme toutes les sciences positives, l’économie politique a dû fixer et circonscrire son domaine. L’économie politique proprement dite s’est donc bornée, premièrement, à observer et à décrire les faits, les circonstances, au milieu desquels s’accomplit le travail humain, au milieu desquels l’homme produit, consomme et échange ses produits contre ses consommations ; secondement, à formuler en lois les divers rapports qui lient nécessairement ces faits entre eux. L’économie politique enseigne donc comment la richesse se forme et se distribue ; telle situation étant donnée, tels faits étant mis en présence, elle indique les relations qui s’établiront entre eux et les conséquences qui en découleront. Comme toute science pure, elle devient donc, entre les mains de ceux qui la consultent et qui l’appliquent, particuliers, peuples ou gouvernemens, une lumière, une aide, un instrument d’amélioration ou de progrès ; comme toute science, elle a pour fin principale et dernière le bien de l’homme, mais, comme toute science aussi, elle est, dans ses principes, indépendante des applications plus ou moins heureuses, plus ou moins habiles qu’on en peut faire. Ce n’est pas elle qui a créé les faits qu’elle décrit, et elle ne peut les modifier qu’en les éclairant ; ce n’est pas elle qui a créé l’intelligence et les forces limitées de l’homme, et sa liberté capable d’un bon et d’un mauvais choix. Elle ne peut pas plus saisir le bien-être complet que la philosophie le vrai absolu ou le souverain bien. Elle ne s’adresse qu’à une partie de l’homme, et, dans la pratique, elle se subordonne chez l’individu à la morale, et à la politique chez les peuples. Enfin, comme toutes les sciences de l’ordre moral, elle est dominée dans ses applications par ces deux principes fondamentaux de la nature humaine, la liberté et le progrès. Augmenter progressivement la liberté humaine dans la sphère de la richesse, par le travail et la production libre, par la répartition libre et le libre échange des produits, tel est le premier et le dernier mot de l’économie politique. Eh bien ! voilà ce qui fait son crime aux yeux du socialisme. Assurément, l’économie politique, science récente, dont les débuts datent à peine d’un siècle, est bien loin encore d’avoir fait pénétrer entièrement ses principes dans la constitution