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mêmes, augmente plus rapidement que la population. J’en signalerai deux branches, celles des boissons et des tabacs. On a vu le montant des droits sur les boissons, qui n’était que de 85 millions en 1817, s’élever à 101 millions en 1845, et la France, qui consommait, en 1817, 11,600,000 kil. de tabacs, en a consommé, en 1843, 17,070,000 kil. On sait que le revenu des impôts indirects, perçus sur les consommations du peuple, sont le thermomètre exact de la prospérité ou de la gêne d’un pays. Sous le coup de la révolution de février et des désastres qu’elle a produits, ce revenu a subi, cette année, une énorme diminution ; lorsque la France est heureuse, il suit, au contraire, une marche ascendante. Ainsi, de 1825 à 1846, dans une période de vingt années, il était monté de 540 à 804 millions sans qu’aucun impôt eût été augmenté. Un autre indicateur aussi infaillible de la condition économique du peuple, c’est le mouvement du commerce annuel. La masse des importations et des exportations exprime surtout le travail et la consommation des classes laborieuses, car le peuple est le grand producteur et le grand consommateur des marchandises que le commerce expédie ou reçoit. Eh bien ! je vois dans le Tableau du commerce décennal, qui vient d’être publié par l’administration des douanes, que la valeur de nos importations et de nos exportations réunies, qui était de 1168 millions en 1827, était parvenue, en 1846, vingt ans après, en suivant une progression constante, au chiffre de 2 milliards 437 millions, c’est-à-dire que la population de la France, tandis qu’elle s’accroissait d’un septième, voyait s’accroître du double la somme des objets de production et de consommation qu’elle échange avec l’étranger. Si l’on n’oublie pas que cette somme représente une portion du produit brut de la France, on aura une idée de l’accroissement de ce produit durant cette période prospère de vingt années. Et ici, il n’y a point à s’occuper des chicanes subtiles que les socialistes élèvent sur la distinction du produit brut et du produit net ; il n’y a pas à rechercher si les profits du capital ou le produit net ont suivi un développement proportionné à celui du produit brut. Il n’y a à constater qu’un résultat éclatant, immense, devant lequel toutes les déclamations révolutionnaires et tous les sophismes socialistes demeurent confondus et anéantis : ce résultat, c’est qu’en vingt ans de régime constitutionnel, de régime manufacturier et de paix, le peuple, celui que nous appelions tout-à-l’heure le grand producteur et le grand consommateur, bien loin, comme le lui disent de malfaisans sectaires, de voir diminuer son travail et rogner sa subsistance, était arrivé à produire et à consommer une quantité deux fois plus grande d’objets qui nous viennent du dehors, ou que nous y envoyons. Après cela, il n’est pas surprenant que l’avènement des ouvriers au travail indépendant devînt chaque jour plus facile et qu’ils parvinssent en plus grand nombre à former des établissemens particuliers. Le chiffre des patentés indique cette progression : il y avait, en