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du moins que les villes libres n’enverraient plus de députés à l’assemblée. Dans les vingt dernières années, ces villes s’étaient élevées jusqu’au nombre de soixante. Si on donnait une voix à chacune d’elles, toute proportion serait rompue dans la constitution ; la bourgeoisie des villes se montrait dévouée à la cause du pouvoir royal, son protecteur naturel : que deviendraient les libertés hongroises et l’indépendance de la nation ?

Les plus généreux d’entre les libéraux hongrois, reconnaissant les progrès et l’accroissement des classes moyennes depuis le commencement du siècle, proposaient d’accorder 6 voix aux députés des villes. C’était, disaient-ils, leur en donner autant qu’à trois comitats. Cette part leur paraissait devoir satisfaire la plus grande ambition[1] ; mais la majorité n’admettait pas même une telle concession. « La représentation, disait un député, peut revêtir diverses formes. En Hongrie, la noblesse forme le corps électoral qui représente l’ensemble de la nation. Aimerait-on mieux le système aristocratique qui attribue en France le droit électoral à une quotité de fortune ? Voilà le privilège monstrueux. Ici le noble a partagé sa terre avec le paysan et donné la liberté aux marchands des villes : qui pourrait mieux que lui agir au nom du peuple entier ? Tout ce qui s’est fait depuis dix ans à la diète prouve si la confiance du pays n’a pas été bien placée ; ce sont les étrangers qui veulent nous diviser et affaiblir l’énergie de l’esprit public. Vous demandez au nom de l’égalité le droit de vote pour les députés des villes libres ; mais commencez donc par introduire cette égalité dans la constitution même de ces villes. L’étranger, qu’on cherche à tromper sur notre état social, sait-il bien comment se font les élections municipales ? A Pesth, par exemple, le droit de bourgeoisie n’existe que pour un petit nombre d’habitans ; la plupart des banquiers, les plus riches négocians, les professeurs, les artistes, sont en dehors de la loi commune. Un conseil, composé de cent dix membres, s’adjoint cinquante électeurs à vie qui, de concert avec lui, nomment les deux députés à la diète. Ces députés, produit du plus absurde des privilèges, ont-ils

  1. Cette proposition se fondait sur un calcul qui a d’abord quelque chose de spécieux. La contribution publique en Hongrie est divisée en parties aliquotes connues sous le nom de portes. Il y a 6,210 portes pour la Hongrie entière, 6,346 avec la Croatie ; les villes royales ne sont comprises que pour 623 portes dans cette répartition. La moyenne des comitats étant d’environ 120 portes, les contributions des villes ne représenteraient donc que le dixième de celles des comitats, si l’on voulait prendre l’impôt pour base du droit électoral. Toute cette argumentation sur le nombre des portes reposait uniquement sur une équivoque grossière. Sans doute, ce sont les comitats qui paient les neuf dixièmes de la contribution, mais, dans les comitats, ce ne sont pas les gentilshommes, ce sont les paysans qui paient. Le raisonnement ne vaudrait que si la question d’élection s’était débattue entre les paysans et les villes libres. L’appliquer aux nobles, dont le privilège est précisément de ne pas payer d’impôt, est un pur jeu d’esprit.