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la paix. Il fut aussi un temps où, en vue de l’impossibilité de ce partage, on prenait assez facilement son parti des ambitions d’une puissance qui prétendait absorber à elle seule l’immense héritage d’Othman. A force de répéter que la Turquie était morte et que la Russie convoitait cette succession, l’on avait fini par envisager l’éventualité d’une conquête russe comme la solution inévitable de la crise prolongée de l’Orient. Par ignorance, par faiblesse d’esprit ou par de faux raisonnemens politiques, on s’abandonnait avec complaisance à cette idée ; mais, depuis que les faits ont révélé tant de germes de vitalité dans les populations chrétiennes et tant d’élémens d’une civilisation originale et vigoureuse, depuis qu’il est devenu clair que la race ottomane, en sortant de son orgueilleux isolement pour s’unir à ces peuples, peut elle-même se rajeunir, on s’accorde à reconnaître que défendre l’intégrité de l’empire ottoman, c’est défendre à la fois le droit des Turcs, l’avenir des chrétiens et une civilisation qui commence.

Du moment qu’il s’agit ainsi d’intérêt moral, le devoir de la France est tracé. A une époque où l’intérêt moral était identifié avec l’intérêt religieux, la diplomatie française était, dans la véritable et glorieuse acception du terme, protectrice des chrétiens de l’empire ottoman, et, à la faveur de ce protectorat, ses intérêts commerciaux et politiques se développaient à l’aise sur cette vaste étendue de terre et de mer. La concurrence commerciale de l’Angleterre et la rivalité religieuse de la Russie ont porté, depuis un siècle, de rudes atteintes à cette influence. Pourtant le plus grand dommage qu’elle ait éprouvé est venu, sans aucun doute, des négligences, des méprises, des fautes de la politique française. Au lieu de rester, suivant les traditions primitives de notre protectorat, les médiateurs des différends des Osmanlis avec les populations chrétiennes, nous avons, avec un funeste empressement, saisi toutes les occasions les plus futiles de prendre parti contre la Turquie. Nous avons adopté de gaieté de cœur toutes les mauvaises causes, embrassé tous ces fantômes sans consistance, toutes ces ambitions sans force qui surgissaient en face de la puissance ottomane, tantôt dans le Liban, tantôt en Égypte, tantôt ailleurs. Peut-être l’heure est-elle venue pour la France de sortir de ces tergiversations, de ces calculs erronés, et de reprendre franchement à Constantinople son rôle primitif de médiatrice entre les chrétiens et les musulmans. Ce rôle, aujourd’hui, consiste à seconder le mouvement par lequel ils sont poussés à s’allier dans le principe fécond de l’égalité des races. Le mouvement des races se règle sur des droits ; le devoir de la France, c’est de les élucider, d’aider Turcs et chrétiens à les comprendre, à les poser en face de l’Europe ; c’est, enfin, d’appuyer elle-même ces droits de l’autorité de son nom, s’ils n’agissent pas suffisamment par leur propre vertu. La forme et les conditions de cet appui regardent la prudence des