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Roudnik, forteresse inaccessible d’où ils peuvent rayonner comme d’un centre pour attaquer, certains d’y retrouver un abri dans la défaite. Les Moldo-Valaques ont, dans la région occidentale des principautés, les Carpathes, non moins sévèrement disposés par la nature, non moins propres à la guerre de partisans, les Carpathes ardus et boisés, qui ont si souvent offert un asile à la race roumaine durant les invasions et dans les guerres du moyen-âge ; mais la société moldo-valaque d’aujourd’hui est déjà une société polie, profondément attachée à l’existence des villes, et pour laquelle cet abandon des plaines, cette retraite dans les montagnes, serait le plus dur et le plus coûteux des sacrifices. Lors donc que Maghiero, dont la bravoure est célèbre parmi les montagnards de la Petite-Valachie, disait récemment : « Si j’ai deux ennemis, mon sabre a deux tranchans, » il obéissait à un élan du cœur bien plus qu’à un sentiment raisonné de la situation et du temps. Cet appel à une guerre nationale dans les montagnes contre un double ennemi ne pouvait être entendu des populations laborieuses et commerçantes des villes, et il eût attiré sur le pays tous les maux d’une guerre qui eût livré aux jeux du hasard l’avenir de la nationalité roumaine. Un seul parti était sage, c’était de se résigner et d’attendre des conjonctures plus favorables. Douloureuse nécessité, assurément ; mais les caractères calmes, affligés à la vue du sang répandu en l’honneur de la cause nationale, se plaisaient à croire que la Turquie déplorerait avec eux ce malheur ; ils ne pensaient pas que Fuad-Effendi, malgré la rigueur de ses procédés, fût parti de Constantinople avec des instructions hostiles, tant cette hostilité était contraire aux intérêts du sultan et aux sentimens manifestés si souvent par ses ministres. Le général Duhamel avait assisté à l’occupation de Bucharest ; c’est sur lui que les Valaques rejetaient la faute des événemens, c’est lui qui avait poussé le commissaire turc à ces extrémités et égaré à ce point son esprit et son bras. L’homme sur qui devait retomber la responsabilité de cette dernière catastrophe, c’était l’agent perfide de la Russie.

En effet, le général Duhamel eût aimé à engager Fuad dans des mesures sévères et à châtier, par la main des Turcs, la démocratie valaque. Le Turc, l’infidèle, le conquérant, était préféré au Russe, au frère en religion, au protecteur : quelle plus profonde insulte pouvait être adressée à la politique moscovite ! L’occasion était bonne, sinon pour inspirer un vif amour des Russes, au moins pour détourner les esprits de ce mouvement instinctif de la race roumaine vers les Turcs, pour concentrer sur eux les passions, les ressentimens de ce malheureux peuple, pour lui rendre odieux et haïssables les liens qui le retenaient attaché à la suzeraineté ottomane ! Que fallait-il si l’on voulait y réussir ? Solliciter ou conseiller des rigueurs judiciaires, sauf à en gémir ensuite auprès des Valaques. Fuad eut du moins assez de tact pour ne point se