Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/901

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Danube. La Turquie, si profondément et si maladroitement déprimée par les cabinets et par l’opinion de l’Occident, abandonnée à elle-même, se défiant de ses forces, a reculé devant l’idée d’une politique ferme, la croyant, peut-être à tort, périlleuse. Ses intentions ont été bonnes et sont pourtant restées impuissantes. Elle n’a pu répondre à l’élan des populations, qui cherchaient l’appui de son autorité en lui apportant le tribut de leur jeunesse et de leurs ardentes passions. Ici donc, les races désireuses de s’émanciper penchent, sinon par goût, au moins par tactique, du côté du pouvoir central, comme les Slaves à Vienne ; à la différence, toutefois, de ce qui s’accomplit en Autriche, la nationalité a été frappée en Turquie d’une fâcheuse défaite dont elle ne peut manquer de se relever par la puissance acquise aujourd’hui à l’idée de race, mais dont la génération présente porte dans les prisons et dans l’exil le poids douloureux.


I

Cette révolution roumaine, dont l’histoire est celle d’un grave échec, dérive peut-être plus directement de la nôtre que les révolutions de l’Autriche. On n’ignore point sans doute l’enthousiasme instinctif et spontané des Moldo-Valaques pour la civilisation de l’Occident en général, et pour la France en particulier[1]. C’est dans nos écoles, sur les mêmes bancs que nous, sur les mêmes livres, bons ou mauvais, que la jeunesse des deux principautés vient régulièrement se former depuis l’insurrection nationale de 1821. Spectacle étrange ! lorsqu’on a traversé les plaines quelquefois désertes au milieu desquelles leurs capitales sont comme perdues, on retrouve là, à quelques lieues de la mer Noire, à l’extrémité de l’Europe, la physionomie de nos mœurs privées, nos préoccupations politiques, notre phraséologie, nos abstractions, notre rationalisme, l’ivraie et le bon grain. Tout d’abord le paysan, sceptique dans ses haillons pittoresques, écoute d’un air narquois ces belles discussions peu intelligibles pour son esprit ; mais lorsque les savans veulent bien lui en donner une traduction simple et à sa portée, et lui expliquer, par exemple, que question sociale signifie affranchissement de sa terre et de sa personne, et que nationalité veut dire plus de Moscovites, plus d’invasions, plus de fermiers fanariotes, plus de persécutions, il redevient méditatif et sérieux, et il comprend qu’il y a du bon dans cette science-là. Les germes que les jeunes gens de ce pays emportent de l’Occident ne tombent donc point en terre stérile. Sitôt que la science daigne se faire humble pour les déposer sur

  1. Le caractère et les causes du mouvement roumain ont été décrits dans cette Revue le 1er janvier 1848.