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courir le danger d’avoir à ce jeu-là les mains mutilées, comme il vient d’arriver aux Valaques. Quel est donc ici l’ennemi ? De quel côté veut-on frapper ? L’ennemi ; c’est le Russe, et le joug que l’on aspire à briser, c’est le protectorat moscovite. Ce protectorat, qui, à l’origine, à l’époque de Catherine, s’était présenté aux crédules populations sous des dehors libéraux, avec un langage tout chrétien et de séduisantes promesses, a laissé tomber son masque le jour où, devenu fort, il n’a plus senti la nécessité de feindre ; de ce jour aussi, les peuples trompés ont reculé d’effroi en portant la main sur leurs armes, et, le visage tourné du côté du nord, l’œil attentif aux mouvemens du géant moscovite, ils se sont repliés jusque dans le sein de l’Osmanli lui-même. Plutôt le gouvernement du cimeterre que la protection du czar ; plutôt l’empire de l’islam que la papauté chrétienne de l’empereur de Russie ; plutôt un demi-siècle de retard dans le progrès de l’indépendance que l’appui oppressif des Moscovites ; plutôt la tyrannie sur nos corps que la corruption dans nos cœurs ! Tel a été le langage des Moldo-Valaques et des Serbes, c’est-à-dire de ces trois principautés du Danube qui, en voulant échapper aux excès du vieil islamisme, ont eu le malheur de tomber dans les piéges tendus à leur bonne foi par le czarisme, et qui, tantôt par des plaintes touchantes comme en Valachie, tantôt par des rugissemens mal contenus comme en Servie, invoquent à leur aide la bienveillance de la Turquie fort empêchée et de l’Europe indifférente.

Cette politique s’est annoncée en Valachie avec le premier succès du roumanisme, en 1821, et, en dépit de beaucoup de déboires, elle a été, elle est encore celle des patriotes qui viennent d’accomplir sous nos yeux la révolution de Bucharest. Les Serbes, plus heureux depuis quelques années, car ils ont en partage une législation démocratique et un gouvernement probe, moins accessibles, par leur rudesse même, aux influences du protectorat, ne sentent pas moins vivement le poids et le but de l’action russe. Ils ont, en 1842, pour y échapper mieux, renversé la dynastie de Milosch, élevé à la magistrature suprême le fils de George-le-Noir, et contracté dès-lors une étroite alliance avec la Turquie, puissance suzeraine, contre la Russie, puissance protectrice. Que la Turquie soit mise un jour dans la nécessité de faire la guerre au protectorat, et les Serbes auront bientôt franchi le Danube pour le plaisir d’être avec les Moldo-Valaques à l’avant-garde de l’armée ottomane. Je sais que cette pensée a fait plus d’une fois tressaillir d’aise Riza-Pacha dans sa dure écorce de vieux musulman ; je sais qu’en se rappelant le succès remporté par lui sur le protectorat, dans son ministère de 1842, au sujet de la question de Servie, exactement semblable à la question valaque d’aujourd’hui, il dévore avec amertume la honte imposée à son gouvernement par la présence des armées russes dans les principautés