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peut donc rentrer dans les conseils de l’Europe tant que cette question dure encore ; il n’aurait à y prendre part qu’autant que les intentions du sultan à l’égard du pacha blesseraient les droits que la France a garantis, ce que personne ne paraît plus supposer. Et plus loin M. Guizot avertissait M. de Bourqueney qu’il ne devait faire aucun pas pour sortir de l’isolement où il s’était jusqu’ici renfermé. Cette situation que la France n’a pas choisie, où elle n’entend pas systématiquement demeurer, ne lui pèse en aucune manière. M. de Bourqueney n’est donc chargé d’aucune démarche, d’aucune initiative, cette dépêche n’ayant pour but que de régler son langage et d’arrêter ses réponses, dans le cas où l’on viendrait le sonder sur les intentions de son gouvernement.

Pendant que le ministre des affaires étrangères écrivait en ces termes à son agent à Londres, une complication nouvelle venait troubler les espérances de paix auxquelles les puissances alliées s’abandonnaient. La Porte, au lieu d’accueillir favorablement la supplique de Méhémet-Ali, refusait de reconnaître la convention du commodore Napier. Dans les termes par lesquels le ministre ottoman annonçait aux différentes cours la résolution de son souverain, tout le monde reconnut la main de lord Ponsonby, ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, l’ennemi décidé de la puissance de Méhémet-Ali, le confident des vues secrètes de lord Palmerston, toujours prêt à servir les passions de son chef et à les exagérer. Les expressions de la dépêche turque étaient parfaitement analogues au langage tenu par lord Ponsonby dans une lettre adressée à l’amiral Stopford, communiquée au commodore Napier, et par laquelle cet agent les priait d’exercer leur autorité pour empêcher que cette convention fût le moins du monde mise à exécution[1].

La détermination de la Porte désespérait les plénipotentiaires allemands à Londres. Elle faisait une impression tout autre sur lord Palmerston, qui, excité sous main par les lettres particulières de lord Ponsonby, se montra empressé de saisir cette occasion inespérée de déjouer encore une fois les pacifiques efforts de ses alliés de Prusse et d’Autriche. Son langage sur la concession de l’Égypte héréditaire changea subitement dans un entretien qu’il eut avec M. de Bulow et le prince Esterhazy ; il se montra tout prêt à entrer dans les idées du ministre ottoman et de lord Ponsonby sur la validité de la convention Napier[2]. Dans une entrevue avec notre agent, lord Palmerston, sans se prononcer positivement, allégua avec affectation que l’hérédité d’un pouvoir délégué renfermait une idée bien contradictoire. M. de Bourqueney fit ressortir le contraste de ce langage avec les précédentes déclarations. Alors le secrétaire d’état, revenant à l’ancienne argumentation

  1. Papiers parlementaires (correspondance sur les affaires du Levant), p. 112.
  2. Dépêche de M. de Bourqueney.