Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/883

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette guerre, la seule à laquelle on songeât alors, plusieurs la redoutaient au point de ne l’accepter dans aucune hypothèse, et de vouloir rentrer, à tout prix, dans l’alliance des grandes puissances. Plusieurs, au contraire, la souhaitaient avec ardeur, car ils espéraient bien s’en servir pour devancer le temps, c’est-à-dire pour renverser le gouvernement de leur pays et mettre le feu à l’Europe. Entre la pusillanime timidité des uns et la dangereuse impétuosité des autres, il n’y avait plus d’appui suffisant pour la politique adoptée par le ministère du 1er mars. Deux courans puissans le sollicitaient en même temps vers des points opposés. Il ne pouvait les dominer, il ne voulait pas leur céder, et préféra se retirer. Mis en demeure d’user de sa prérogative constitutionnelle, obligé de choisir, le chef de l’état eut-il tort de s’alarmer de certains symptômes révolutionnaires ? Fut-ce une fausse manœuvre, celle par laquelle il tira brusquement la monarchie loin des pentes rapides, loin des abîmes où plus tard elle est venue s’engloutir ? Ceux qui n’ont point appelé de leurs vœux le régime nouveau ne le penseront sans doute pas. Huit ans plus tard, la république s’est introduite chez nous, grace à la réforme. Qui nous dit qu’elle ne fût pas venue huit ans plus tôt, grace à la guerre ? Tous les belliqueux ne voulaient pas la république en 1840, d’accord : tous les réformateurs n’en voulaient pas non plus en 1848 ; mais tous les républicains qui voulurent la réforme en 1848 voulaient la guerre en 1840.

Quoi qu’il en soit, à ne considérer même que la situation extérieure, la tâche des nouveaux conseillers de la couronne était ardue. Au moment de commencer le récit des actes d’un cabinet qui a été en butte à de si fougueuses attaques, je ne puis me défendre entièrement d’un doute pénible. L’heure de la justice est-elle effectivement venue pour tout le monde ? Plus vivaces que les passions, les préjugés ne leur ont-ils pas survécu ? Parce que nous voulons dire la vérité, n’allons-nous pas paraître défier, de parti pris, les idées trop généralement reçues et marcher, de gaieté de cœur, à l’encontre de ce que plusieurs appellent le sentiment public ? Qu’on le croie : nous n’aimons pas à contredire, nous ne visons pas à surprendre ; mais, quand les faits sont tout autres que d’anciens adversaires les ont vus, tout différens de ce qu’ils les ont représentés, qu’y pouvons-nous ? Combien de fois n’a-t-on pas dit, par exemple, que le ministère du 29 octobre n’avait rien eu de plus pressé, après 1840, que de faire rentrer la France dans le concert européen 1 combien de fois n’a-t-on pas répété que la signature du traité du 13 juillet 1841 avait été un grand triomphe pour les cabinets d’Angleterre et de Russie ! Si le contraire résulte positivement du récit qui va suivre, sera-ce notre faute et pure malice de notre part ? À une telle assertion il faut des preuves. Elles ne manquent pas, et nous entendons bien les fournir.