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ceux-là soient en même temps à Milan les vainqueurs d’une nationalité ? pourquoi l’esprit de faction a-t-il si bien absorbé la cause nationale, que l’une s’amoindrisse et s’efface sous l’autre ? Les cordons et les croix dont la Russie décore le prince Windischgraetz, le baron Jellachich, le maréchal Radetzky, sont autant de protestations contre la turbulence déplorable de la démocratie d’Occident, protestations intéressées qui semblent faire du czar le seul défenseur efficace de l’ordre et du droit. On recommence ainsi à Pétersbourg ce grand rôle de champion de la paix publique qu’on s’était si adroitement arrogé du temps de la sainte-alliance ; on se donne l’air de nous croire incapables, nous et tous les peuples constitutionnels, d’avoir jamais la règle chez nous. On récompense avec d’autant plus d’éclat les pacificateurs armés, que l’on croit montrer par là qu’il n’y a plus de sécurité possible en dehors des hautes influences impériales. Dans cette confiance, on attend, et, en attendant, on garde au cœur des provinces danubiennes une armée magnifique qui ne coûte rien et est approvisionnée de tout comme à la veille d’une grande entreprise. Nous sommes vraiment bien inspirés de débattre si à fond avec l’Autriche l’endroit où nous traiterons de la médiation italienne ! Pendant que nous discutons pour savoir si ce serait mieux d’en parler à Inspruck ou à Bruxelles, la Turquie, désertée par l’Autriche et par la France, aux prises sur une difficulté insoluble, cède sous la pression moscovite. Il faut l’Autriche et la France réunies pour empêcher la Turquie de s’affaisser aux pieds du czar. L’Angleterre ne semble pas, à l’heure qu’il est, très jalouse d’aider à cet accommodement de la France et de l’Autriche. Est-ce qu’elle aurait une entente à Constantinople aux dépens de la Turquie ? La conduite de lord Palmerston en ces derniers temps parait moins franche que jamais. Nous voulons bien qu’il ne tienne pas à préserver notre république en lui adoucissant ses embarras extérieurs. Est-ce une raison pour risquer de livrer la partie aux Russes ?

Ces perspectives plus ou moins lointaines ne peuvent arrêter long-temps nos regards à côté de ce tableau si criant et si rapproché que nous présente l’Italie à Naples, à Livourne, à Rome. Il y avait évidemment un même complot démagogique, qui comptait sur une autre solution des événemens de Vienne pour se lancer dans les aventures. Le ministère radical de Florence, les élections avancées de Naples, sont des symptômes certains d’une agitation conduite par une minorité entreprenante au milieu de l’indifférence politique où vivent les populations italiennes. Cette agitation s’est produite à Rome le poignard à la main, et son premier exploit a été un assassinat. Le nouveau ministère imposé par l’émeute au souverain pontife pour être bientôt sans doute débordé par elle, parce qu’il vaut encore mieux qu’elle, le ministère Mamiani, s’asseoit en quelque sorte dans le sang de M. Rossi. C’est une origine de mauvais augure, et, dût-on tout de bon essayer la guerre de l’indépendance, cette guerre est maudite à son début, puisqu’elle commence sous les auspices d’un crime si détestable. M. Rossi était un grand esprit et une nature dédaigneuse. Dans son existence si remplie et si diverse, il avait vu le peu qu’il y a d’hommes, et il estimait médiocrement l’espèce. Il est mort le mépris sur les lèvres. Est-ce le mépris ou la pitié qui convient le mieux pour ces factieux qui déchirent les entrailles de l’Italie sans oser regarder les baïonnettes étrangères ?