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toires qui courent aujourd’hui les campagnes ; il n’est pour rien dans ces récits d’Eldorado impérial dont on amuse la crédulité rustique. Soit : il n’en sera pas moins responsable de ces beaux contes ; ce sont autant de lettres de change tirées sur lui, qu’il prenne garde au protêt ! Et puis, est-ce qu’à Paris, bien à son insu sans doute, il n’a pas dans des clubs spéciaux des avocats qu’il eût mieux choisis assurément, s’il les avait choisis lui-même, mais qui, tels qu’ils sont enfin, débitent au public sa correspondance privée tout comme s’ils la tenaient de ses mains ? Et quels avocats ! La république, c’est tout dire, les a essayés et congédiés en vingt-quatre heures au lendemain de février.

M. Dufaure n’a donc pas eu de peine à répondre aux accusations de M. Favre en mettant en parallèle les griefs que tout gouvernement sérieux devait avoir contre les procédés électoraux dont on usait à l’autre bord. Il eût été peut-être plus embarrassé de répondre, si on lui eût demandé comment il appelait la récente invention de M. Trouvé-Chauvel. Celui-ci s’est avisé d’un projet de loi destiné à réduire l’impôt du sel des deux tiers, mais seulement dans dix-huit mois. Voilà une réduction qu’on voudrait décréter bien vite et exécuter bien tard. Aurait-on compté sur l’effet de cet engagement à longue échéance au point de s’imaginer que le paysan ne s’ennuierait pas trop du délai, et saurait encore gré de la promesse ? Il y a là quelque chose qui sent son élection prochaine, quoiqu’après tout cela ne nous inquiète guère, parce que les projets de M. Trouvé-Chauvel ne sont pas lettre d’Évangile, et qu’il y a dans l’assemblée plus d’une personne pour lui dire son fait. Ce qui nous eût inquiétés davantage, si nous eussions été moins sceptiques, c’eût été l’idée qui courait ces jours-ci sous le manteau, l’idée qu’on s’apprenait à voix basse, qu’on imprimait avec une obscurité significative au plus épais des faits-Paris dans les colonnes de certains journaux, l’idée d’un 18 fructidor. Le général Cavaignac voulait fructidoriser ; les noms des victimes avaient fini par s’écrire en grosses lettres, et elles défiaient généreusement leur destin ; quelques-unes pourtant découchaient, par précaution, j’imagine M. Dufaure les a bénévolement rassurées. M. Dufaure s’est élevé aussi dans cette même séance avec l’énergie d’un honnête homme contre les bruits mensongers qui déclaraient le gouvernement actuel atteint et convaincu d’une velléité de retour à la république rouge. Il a hautement dénoncé l’abîme qui séparait sa république de celle-là. Le général Cavaignac devait reprendre cette déclaration en son nom dans la séance du lendemain.

Cette séance de samedi, prolongée jusque bien avant dans la soirée, a été l’une des plus mémorables que l’assemblée nationale ait encore eues. Nous ne louerons pas le général Cavaignac du succès inattendu de son éloquence ; nous dirons seulement que sa bonne conscience a fait tout son succès. Pour qui assistait à ce spectacle dramatique, on voyait bien que c’était là l’indignation d’un cœur honnête, la révolte sincère d’une ame loyale offensée. Nous ne sommes pas de ceux qui ont besoin de mettre une sourdine au triomphe mérité de quiconque n’est pas au plus près de nous dans nos rangs. Ce triomphe, nous le constatons franchement, et nous ne croyons pas que notre cause ait à souffrir de cette franchise. Ce triomphe lui-même, à quoi tient-il, sinon à l’effort courageux avec lequel le chef du pouvoir exécutif est revenu sur plus d’une dissidence qui le séparait de nous ? Nous n’avons pas beaucoup d’illusions à l’endroit des ressorts secrets qui jouent ordinairement derrière toute espèce d’appareil parle-