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phases qui nous attendent, nous avons à retracer déjà pas mal de vicissitudes dans la lutte électorale, qui n’a été réellement ouverte qu’à partir de cette dernière semaine. La compétition est d’autant plus ardente et les coups se suivent d’autant plus vite, que l’on est, nous le répétons, face à face sur un même terrain, et qu’on veut l’enlever d’assaut avec les mêmes armes.

M. Dufaure a commencé pour le compte du général Cavaignac. Une lettre écrite par l’honorable M. Odier, avec une complaisance dont nous ne lui faisons pas un crime, fournissait au ministre de l’intérieur une occasion dont il a profité. M. Odier, banquier, juge au tribunal de commerce, représentant naturel d’une portion notable de la bourgeoisie parisienne, désirait savoir à quoi s’en tenir sur les vues ultérieures, sur le fond même des dispositions du général. Il demandait à M. Dufaure de le rassurer. La démarche, au premier abord, prête à la critique, et l’on est tenté de trouver assez naïf le certificat délivré par un subordonné en l’honneur de son chef immédiat. Il faut cependant voir les choses plus au sérieux : il y a là un signe caractéristique de notre état. Le pays, contraint par d’étranges reviremens à choisir entre des noms nouveaux celui qu’il doit mettre à sa tête, interroge les hommes qu’il connaît sur la valeur de ceux qu’il ne connaît pas assez. Il interroge M. Dufaure sur M. Cavaignac, comme M. Thiers sur M. Louis Bonaparte ; le témoignage rendu est plus ou moins explicite, mais la question est posée dans un même esprit de confiance vis-à-vis des personnes éprouvées et d’incertitude vis-à-vis des autres. La hiérarchie politique n’est, en pareille occasion, qu’une règle secondaire pour déterminer une conduite, et il n’y a point de règle supérieure à l’empire de cette hiérarchie morale selon laquelle les anciens d’une opinion se trouvent les parrains des derniers venus qui s’y rangent. La lettre de M. Dufaure a produit bon effet dans la haute banque et à la Bourse. Pourquoi ne pas vouloir qu’un républicain du lendemain délivrât sa garantie à un républicain de la veille ? Le symptôme est-il si fort à dédaigner ?

À la séance qui suivit l’apparition de cette lettre, M. Jules Favre, dans un intérêt qu’il est assez difficile de préciser, attaqua violemment, de sa violence, il est vrai, la plus insinuante et la plus caressante, des manœuvres électorales qui, à son goût, laissaient bien loin derrière elles les fameuses circulaires d’avril, dont l’assemblée n’avait pourtant pas encore oublié l’auteur. M. Favre (c’étaient à coup sûr l’amour de la justice et le profond respect de la liberté électorale qui parlaient par sa bouche), M. Favre montra beaucoup de commisération pour les souffrances d’une candidature rivale de celle qu’il combattait, et fit rude guerre aux caricatures qui poursuivaient si méchamment l’ombre du grand homme. On aurait pu croire un instant qu’aux pieds de cette ombre vengeresse, il allait écraser le général Cavaignac sous quelques énormités hardiment dévoilées. Le gros dossier qu’il étalait sur la tribune se trouva vidé sans qu’on eût vu rien sortir d’assez terrible pour motiver l’indignation à laquelle il conviait l’assemblée. Nous ne voulons pas jurer que le général Cavaignac se fâche cruellement contre les secrétaires qu’il renvoie pour l’avoir trop servi. Si l’ours de la fable n’avait pas tué l’amateur des jardins, au lieu de l’émoucher, il est à croire qu’il se serait fait pardonner. Mais quoi ! M. Louis Bonaparte n’a-t-il pas non plus d’amis maladroits dont le zèle lui sera peut-être une source d’embarras autrement graves, s’il l’emporte une fois ? Il est étranger aux his-