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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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30 novembre 1848.

La véritable opinion d’un peuple a par elle-même une force irrésistible et souveraine. Il est sans doute des commotions qui la déplacent, qui la bouleversent, des élémens corrupteurs qui la troublent et qui l’infectent. La commotion passe, la corruption emporte ce qu’elle touche et s’use en s’assouvissant. L’opinion reprend alors son cours ; elle rentre dans sa voie : ainsi le fleuve, soulevé un instant et chassé loin de son lit par le vent furieux des régions équinoxiales, revient bientôt couler entre ses rives avec la même puissance et la même majesté.

Ni les illusions, ni les lâchetés individuelles ne sauraient jamais prévaloir long-temps contre l’empire d’une pensée qui se trouve au fond la pensée de tout le monde. La pensée de la France, c’est qu’il lui faut un gouvernement modéré. Nous n’avons pas besoin d’expliquer ce que nous entendons ici par ce mot de modération. Nous en appelons à tous les voeux, à tous les actes qui traduisent maintenant l’esprit du pays ; nous en appelons plus particulièrement encore à toutes les démarches que l’on croit devoir tenter pour briguer sa faveur dans l’arène électorale. Ces démarches, ces manifestes, ces plaidoyers, ne sont autre chose qu’un continuel hommage rendu par de nouveaux convertis à une opinion dont ils avaient jusqu’ici plus ou moins méconnu l’ascendant. Nous assistons au triomphe de l’opinion modérée : ceux qui le mènent, ceux qui le célèbrent sont justement ceux qu’elle a conquis.

Il y a quelques mois à peine, quand on se présentait au suffrage de ses concitoyens pour obtenir de leur estime la plus mince des fonctions publiques, il fallait avoir dans sa poche tout un plan de reconstruction politique et sociale ; il était de rigueur d’avouer en principe qu’on sentait le besoin de refaire le monde, et les plus sages, ceux qui n’osaient point l’entamer trop avant, se croyaient obligés de s’excuser du peu. On partait de ce raisonnement que, puisque nous étions devenus république, ce n’était pas pour rien, et l’on s’ingéniait à découvrir les travaux providentiels que nous avait sans doute imposés une métamorphose si merveilleuse. On voyait énormément à changer, on ne voyait guère à