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l’homme est le progrès, un progrès continuel, indéfini, et tout progrès se résume en un progrès social, et aucun progrès n’est possible que dans la société, par l’excitation mutuelle des esprits, la diversité des fonctions dans le travail commun, la succession constante des efforts, la transmission de leurs résultats, qui crée, pour chaque génération, un point de départ plus avancé. L’homme seul n’est donc qu’un fragment d’être ; l’être véritable est l’être collectif, l’humanité, qui ne meurt point, qui, dans son unité, se développe sans cesse, recevant de chacun de ses membres le produit de son activité propre, et lui communiquant, selon la mesure où il y peut participer, le produit de l’activité de tous : corps dont la croissance n’a point de terme assignable, qui, suivant les lois immuables de sa conservation et de son évolution, distribue la vie aux organes divers qui perpétuellement le renouvellent en se renouvelant eux-mêmes perpétuellement. »

Je continue à exposer, je ne discute point encore : je me résigne pour le moment à n’être qu’un fragment d’être, à ne me regarder que comme un organe du seul être véritable, l’humanité. Je vis cependant ; entraîné sur la pente du temps, je sais que je suis né et que je mourrai. Je suis né ; pourquoi ? que signifient mon existence et la création dans les desseins de Dieu ? Je mourrai : que deviendra le fragment d’être qui m’a été départi ? où va l’être véritable, cette humanité dont je suis un organe ? Je vis, c’est-à-dire que, glissant entre deux abîmes d’obscurité, la naissance et la mort, je fais usage de cette faculté active, de ce pouvoir d’accomplir le bien ou le mal que vous appelez liberté ; mais, si aucun rayon ne déchire à mes yeux les ténèbres d’où je sortis et où je vais rentrer, à quelle lumière marchera ma liberté chancelante ? que sera le bien ou le mal devant la fougue ou le caprice de mes penchans ? À ces questions, voici les réponses de M. de Lamennais.

Pourquoi la création ? D’où vient l’univers, et, dans l’univers, l’être intelligent qui en est le regard et l’ame ? « Tout être dérive de l’Être infini et y est contenu… L’univers n’est donc substantiellement que la substance infinie même, affectée d’une limitation qui lui donne, au dehors de l’Être essentiellement un, un autre mode d’existence. » Trouvez-vous l’explication assez claire ? Fallait-il répudier comme une erreur profonde et comme des enfantillages indignes de la raison, virile ces mystères révélés que Bossuet appelait « les saintes obscurités le la foi, » pour nous faire entendre, au nom de la science certaine, cet indéchiffrable langage ? M. de Lamennais croit à la création, il croit que l’univers a eu un commencement ; avant ce commencement, la substance infinie et l’être essentiellement un, hors desquels il n’y a rien et ne peut rien y avoir, sont un seul et même être, une seule et même substance. Et voilà que M. de Lamennais détache une portion de la substance infinie et la pose au dehors de cette même substance pour lui donner un autre mode d’existence, et sa logique admet sans