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et produisent leurs philosophies qui aggravent et prolongent les révolutions, en voulant ériger en système permanent et absolu ce qui n’est qu’une crise maladive et passagère de l’humanité. Le danger des théories révolutionnaires, c’est de faire croire aux masses qu’elles peuvent, en un seul effort, atteindre à la chimère d’un bien ou d’un bonheur définitif ; leur crime, c’est, en excitant les passions ardentes des multitudes à la poursuite de l’impossible, d’allumer en elles des espérances inévitablement déçues, qui ne s’épuisent à la fin qu’en une fureur de destruction. Une révolution, si malheureuse ou si coupable qu’en soit l’origine, est le symptôme, symptôme terrible, d’une nécessité de progrès trop long-temps comprimée. Les révolutions ne seraient que des accidens heureux, si l’on se contentait de se conformer aux seuls avertissemens qu’elles apportent ; mais les partis et les systèmes ne peuvent avoir leur compte à si bon marché. Une fois les peuples mis en branle, il est impossible qu’ils s’arrêtent au terme auquel ils semblaient avoir mesuré leur élan. Jusqu’à ce qu’ils aient, pour ainsi dire, jeté le feu qui les a soulevés, les ambitieux et les sectaires, et à leur suite l’état-major pullulant des Catilinas de tous les temps, cette horde fiévreuse des esprits faux et vains, paresseux et turbulens, gangrenés d’impuissance et d’envie, qui rendent en haine à la société l’insupportable ennui que leur inspirent leur médiocrité hargneuse, leur lâcheté morale, leurs échecs et leurs vices ; tous soufflent sans relâche sur les inquiétudes populaires leur venin ou leur folie ; tous leur demandent tour à tour la satisfaction de leurs convoitises, de leurs vengeances ou de leurs rêves, et tous offrent, sous le masque de doctrines générales, une justification adulatrice et emphatique aux égaremens des multitudes.

La révolution actuelle ne pouvait se dérober à cette loi : elle devait produire, elle aussi, son idéologie. Suivez, en effet, la déduction logique du socialisme démocratique. Au premier abord, et pour le plus grand nombre, il ne se présente que comme une question d’économie politique et de politique : il faut améliorer sans cesse le sort des classes souffrantes, voilà le point de départ commun à tous les partis, à tous les systèmes et d’où procèdent aussi les socialistes démocrates ; il faut que les intérêts des classes souffrantes soient assurés par des garanties politiques et par des combinaisons économiques. Jusqu’ici encore le problème est le même pour les socialistes démocrates et pour les libéraux ; mais voici où la scission commence. En politique, les démocrates socialistes prétendent que la volonté du plus grand nombre est l’expression infaillible de la justice et de la loi, et donne toujours à la vie sociale l’inspiration la plus intelligente et la plus sûre ; en économie politique, ils prétendent, en assujettissant toute liberté individuelle, tout intérêt particulier à l’intérêt prétendu et à la volonté du plus